Skouik Skouik

Ce texte est le second d’une série éphémère : #UnJourDesTextes, née sur Twitter. Chaque jour, un thème, des consignes, suggestions et idées différentes. Pour occuper les journées et combler les envies d’écrire ! Y participe qui veut, au jour le jour, le temps que cela durera, aussi longtemps qu’il le faudra.
 
[Un peu avant]
 
La montée est terrible, harassante, presque verticale.
 

Derrière moi, une foule composée d’une quinzaine d’adolescent.e.s me suit, les yeux interrogatifs, l’estomac criant famine et la confiance en mes capacités à les nourrir correctement tombant en chute libre, vers les abîmes de la rébellion et d’un cri de rébellion que je sens presque poindre : « Tous au Mac Do ! ».

[Flashback]

Pourtant, tout avait bien commencé.

 
Avec ma collège animatrice, nous avions parcouru les ruelles de Tadoussac en long et en large, pour chercher LE spot où nourrir notre horde en cette belle soirée d’été. Nous étions entrés ici et là, avions discuté quelques prix puis, en chuchotant quelques mots à une oreille attentive, nous avions appris ce secret qui ne semblait connu que de certains locaux bien informés. Il paraîtrait que, là-haut, sur les hauteurs de la ville, en suivant telle route et tel chemin, nous pourrions peut-être trouver ce que nous cherchions. Peut-être seulement mais il ne tenait qu’à nous de vérifier.
 
Du coup, nous y étions allés, confiants en notre bonne étoile. Et nous avions trouvé, haletant mais ravis. Une salutation, une poignée de mains et un rabais vite négocié et l’affaire était dans le sac, pesée, emballé et empaquetée. Nous n’avions qu’à revenir ce soir même. Pour cette première fois. En attendant, nous pouvions toujours aller voir les baleines, puisque tel était notre programme…
[Retour au réel]
 
« Putain, les anims, vous déconnez ! C’est où qu’on va ? Sérieusement, on ne pouvait pas aller au Mac Do comme l’autre groupe ? Non mais franchement, c’est encore un de tes plans à la noix, Cedric ? Comme lorsque tu as voulu manger une queue de castor et qu’on a campé autour d’un barrage pendant trois heures avant que tu ne découvres que c’était une pâtisserie ? »
 
J’encaisse, stoïque, cette flèche de Parthe (totalement née de mon esprit mais trop bonne pour ne pas être écrite). Je sais qu’ils ne savent pas ce qui les attend. Ce que nous avons prévu ce soir, c’est un voyage au-delà du temps et de l’espace, une expérience culinaire hors du commun, un hymne à la bonne bouffe, au patrimoine immatériel et culinaire de la Belle Province, un chant à la gloire du MBMV (Manger Bien et Manger Vrai). Ils ne peuvent pas s’en douter et je ne leur en tient pas rigueur.
 
La côte continue à côter, les pas se font un peu plus lent. Pourtant, nous approchons. Déjà, un arôme subtil et délicat semble embaumer l’air. Je vois quelques narines frémir et je sens, subtilement, se dissoudre l’aura de doute qui entourait notre groupe et rythmait notre avancée. Ce soir, il ne saurait être question d’échec, de plan foiré ou d’estomac vide. Ce soir, nous allons certes manger sur des tables de bois, dans l’équivalent d’une aire de repos québécoise mais, ce soir, nous allons nous restaurer d’un plat si étoilé que la voie lactée elle-même ne saurait en contenir assez.
 
L’instant de vérité
 
« Heu, Cédric, on est où là ? »
 
Il faut dire que le cadre peut interroger, autant que l’appellation du mets que nous allons tout dévorer allègrement. Notre hôte et restaurateur, ravi de cette affluence qui va décupler son chiffre d’affaire du soir, se fait fort de nous expliquer les secrets de son art. Le besoin de travailler avec des produits locaux, de s’assurer de la fraîcheur de ce qui est utilisé. Les petites différences régionales entre Trois-Rivières et Québec, par exemple. Les ajouts de dernière minute qui font toute la subtilité ou qui, au contraire, peuvent désintégrer un goût et tuer toute la recette. Bref, il aime ce qu’il cuisine et tente de nous transmettre ce goût tandis que je lui transmet, moi, notre commande et notre dû.
 
Désormais attablés devant des barquettes fumantes, « mes » adolescent.e.s se regardent un peu goguenards, un peu étonnés, un tantinet troublés mais définitivement curieux. Les fourchettes se plantent, les bouches s’ouvrent, les mâchoires mastiquent, les couverts tournent et retournent pour créer l’amas légendaire. Les fils se tendent et se distendent, les frites tentent de ne pas être trop immergées et les premiers sourires satisfaits apparaissent enfin sur les juvéniles faces.
 
De mon côté, en silence et béatement, je savoure chaque bouchée, chaque gramme, chaque aller-retour de ma fourchette entre ici et là. Je rêvais de ce moment, je rêvais de cet instant, je rêvais de cette minute, de ces secondes. 
 
Et comme dans un rêve, je la mange, je la dévore, je l’avale.
Ma première poutine !