Prévoir l’imprévisible

Tout au long de mes 6000 kilomètres d’autostop le long de l’ile du sud, je me suis toujours vaguement fixé une destination à atteindre pour le soir même.

Un rapide regard sur la carte routière, le repérage d’une route et celui d’une auberge sont autant d’éléments permettant facilement de délimiter un cadre de voyage. J’essaie en général de ne pas me fixer des objectifs infaisables: ainsi un Picton Dunedin sera plus viable en scindant la distance en deux étapes.

De même, lorsque je m’apprête à m’enfoncer dans les routes sinueuses du backcountry, je m’efforce de le faire à des heures acceptables (c’est à dire tant qu’il fait jour) et j’essaie, si possible, de ne pas me faire dropper en plein milieu du désert.

Cela étant et malgré tout le bon sens que ces règles dégagent, elles n’ont pas valeur de vérité absolue, bien loin de là même.

Ainsi la semaine dernière, alors que je quittais Kaiteriteri, le pays béni des lapinous, je me suis dit que ce pourrait être une bonne idée d’aller voir les coins que je ne connaissais pas encore: Lake Tekapo, Mount Cook, Akaroa and co.

Il s’agissait donc en gros d’aller du tout au nord au tout au milieu.

J’ai décidé ce jour-là cependant d’ajouter un peu de piment à ma routine: simplement suivre les voitures qui me prenaient et ne pas fixer de destination, laissant faire le hasard de l’aventure… et quelle aventure !

J’ai d’abord glandé deux heures à Motueka avant d’être sauvé par deux américains qui m’ont laissé à Murchison. C’est alors que sont apparus deux géniaux fermiers du Saskatchewan qui, attiréspar mon beau drapeau canadien, se sont enquéris de ma destination:

  • Where’r’ya goin’ son ?
  • I dunno Sir !
  • We go ta Riiiiftone. You wanna come with’as ?
  • Sure !

C’est donc ainsi que j’ai rencontré les personnes les plus délicieuses possibles, avec qui j’ai longuement parlé de l’infinie lassitude de leur terre natale, de la difficulté insurmontable à prononcer le Saskamachin et ainsi de suite. Ces êtres de génie m’ont même offert une glace et un Fanta devant mes yeux remplis d’étonnement et de gratitude devant tant de bonté imprévue.

Reefton a été un heureux choix: la ville est blottie au milieu de nulle part, l’unique backpacker du coin ne coûte que 18 dollars la nuit et j’ai passé une soirée inoubliable à refaire le monde autour d’une bouteille de pinard avec une estonienne, deux allemands et des mineurs anglais.

Départ le lendemain pour le second volume du trajet avec la vague idée de prendre le TranzAlpine Train de Greymouth jusque Sheffield via Arthur Pass’, pour la modique somme de 89 dollars.

Cependant, ô stupeur et tremblement, j’apprends en m’enquérant des prix au comptoir adéquat que le tarif est de 139 dollars, quelque soit la distance parcourue… C’est donc en courant que je me suis enfui vers l’autoroute pour redescendre une fois de plus cette satané côte Ouest (que je connais par cœur).

Trois quart d’heures d’attente à Kumara Junction plus tard, je suis embarqué par deux mamies se rendant à Christchurch pour une espèce de réunion familiale pas arrivée depuis des lustres (au moins). Coup de chance, l’une de ces dames est une ancienne guide qui a pris un malin plaisir à TOUT me raconter sur l’histoire de la région, son évolution, ses changements… J’en suis ressorti plus savant mais avec un léger mal de tête.

Largué – à ma demande – loin de Christchurch, dans la riante bourgade de Darfield aux alentours de 5 heures, c’est avec stupéfaction que j’apprends que la seule auberge du coin affiche complet.

  • Fichtre, me dis-je in petto, me voici présentement dans la mouise !

Alors, décidant de ne pas subir, je me suis rué vers un embranchement repéré précédemment et amenant plus ou moins vers Geraldine (qui est une ville comme son nom ne l’indique pas), via une route sous fréquentée et n’étant même pas une Highway (cas rarissime dans ce pays).

Ayant conscience que je poussais un peu loin les frontières probables de ma chance, c’est sans grand espoir que je me suis positionné pour l’attente habituelle.

Et bien ! Je ne sais pas ce qui s’est passé mais toujours est-il que 3 voitures et 3 heures plus tard, j’étais bel et bien posé dans mon Lakefront Backpacker… au Lake Tekapo !

Par un heureux concours de circonstances, je me suis fait embarqué par des p’tits jeunes, puis par un ouvrier agricole (qui m’a laché entre deux champs en me donnant son numéro au cas où) et enfin par un aventurier qui arrivait d’Auckland et qui fonçait sur Wanaka.

C’est ravi et béni que je me suis couché en même temps que le soleil, décidant que cette journée était, de tout point de vue, un perfect day !