Mes petits plaisirs de Voyageur

Comme le dit l’adage « Il y a autant de façons de voyager que de voyageurs ». Si j’ai tendance à battre en brèche les dictons habituels, force m’est de constater que celui-ci sonne particulièrement vrai à mes oreilles. En vieillissant, j’ai appris à accepter que MA façon de bourlinguer n’ était peut-être la meilleure, ni l’unique. Pour autant, je continue à aimer cette méthode que j’ai façonné au fil des années, au fur et à mesure de mes aventures. En poussant encore un peu, je pourrais même dire que je suis à même de juger de la « réussite » de mes voyages à l’aune de quelques critères épicuriens : mes petits plaisirs de voyageur, que je partage avec vous aujourd’hui !

Mes petits plaisirs de Voyageur

Les premières minutes

Que ce soit lors de mon premier voyage en Irlande ou lorsque j’ai foulé le sol béni de la Nouvelle-Zélande après deux jours d’avion, le rituel est toujours le même : écarquiller les yeux et s’émerveiller de tout. Jouer au jeu des comparaisons, des « On a, on a pas » ou bien « Oh, t’as vu ! ». Les premières minutes d’une arrivée dans un endroit neuf sont toujours uniques car fortes. Elles sont comme un sas, une porte d’entrée dans un nouvel univers, inconnu, mystérieux, aussi attirant qu’effrayant. Lorsque je vis cela, j’ai l’impression de revenir en enfance, de me réjouir pour un petit rien, un petit détail, une petite surprise. Le sourire est vissé à mon visage et une impression – toujours la même – me submerge alors : c’est d’être à ma place, de vivre, de m’épanouir. Même si je suis désormais tourné vers une existence de digital-sédenpère, je continue à courir follement après ces moments et leur rareté (provisoire) donne une force, une puissance et une intensité vraies. « Voyager moins pour voyager mieux » écrivais-je à une époque. Je ne sais pas si cela est encore vrai mais, en tout cas, j’apprécie beaucoup plus mes voyages quand ils ne sont plus une norme mais une chance que je saisis à pleine main pour mieux la conserver proche de moi…

Faire corps avec elle

Prendre le pouls de la ville. Fermer les yeux et écouter les bruits. Se mettre dans une bulle et se laisser envahir doucement par un flot de sensations, de stimulations, de bruits et d’odeurs. Partout où je vais, je n’y manque jamais : c’est ma façon d’appréhender et de découvrir une ville dont j’ignore tout. J’ai une tendance à concevoir le voyage comme une découverte, quelque soit le chemin qui est emprunté. Je ne rechigne à me laisser guider de A à Z par un guide et à suivre les indications touristiques. J’apprécie tout autant les visites guidées personnalisées en tout petit groupe. Pourtant, il est une chose à laquelle je ne sacrifierais jamais, qui m’est chère et chaire : mes errances solitaires. Il faut que je me perde. Il faut que je me laisse guider, sans but, sans visées, sans chemin. Souvent, c’est le hasard qui m’amène à découvrir des coins exceptionnels. Souvent, c’est une erreur volontaire qui me fait découvrir des coins de paradis. Souvent, c’est une montée qui débouche sur un panorama ou une impasse qui offre une œuvre de street-art incroyable. Partout, aux quatre coins du monde, j’ai suivi ce précepte, pour le meilleur (très souvent) et pour le pire (rarement). Alors certes, peut-être que je passe à côté de certaines choses « à ne pas manquer ». Peut-être que je rate l’occasion d’assister à certains événements uniques mais, entre le Très Connu et l’Inconnu, mon choix est vite fait.

Détail de la vie

Exploser mes taux

Des testicules d’agneaux en omelette. Des pommes de terre fourrées de fromage bavant. Un poisson recouvert de frites huileuses et malodorantes. Des steaks d’espadon. Cinq pizzas. Des marmites de pâtes. Je ne m’en cache pas : j’aime mange et j’aime manger gras. Je vénère tout ce qui est à base de fromage et je porte un culte aux recettes avec des patates. Dès que j’en ai l’occasion, je me lance à l’assaut et je teste, au péril de mes trip(e)s. A Vancouver, ça a été une soupe au foie de veau. Au Nunavik, un cœur de pigeon encore chaud, gorgé de sang. Au Yukon, du bison, du caribou. Je préfère avoir goûté et pouvoir m’exprimer que de faire une moue dédaigneuse et de passer outre. C’est la même chose pour les bières : chacune de mes expéditions en Amérique du Nord est l’opportunité de replonger dans l’univers démentiel des brasseries locales. Que ne donnerais-je aujourd’hui pour boire une goutte de Yukon Beer ! Que ne donnerais-je pour une bouchée de Chicken Burger d’Alaska ! Mes papilles frétillent alors que j’écris ces quelques lignes et l’air s’emplit d’un délicieux fumet…  Si il faut manger pour vivre. Il faut aussi manger pour découvrir !

Le marché de Catane

Communiquer

S’il est une ville au monde où je me suis senti perdu, incompris, isolé, étranger, c’est bien Saint-Pétersbourg la maudite. Dans cette cité légendaire, nul ne semblait parler le moindre mot d’anglais. Avec mes pauvres petites phrases apprises quelques heures avant l’arrivée, je pensais pouvoir faire illusion. Las, quelle déception ! Je suis resté frustré, prisonnier de ma francophonie, incapable d’interagir, de parler, d’échanger. Je ne sais pas si, de votre côté, vous êtes du genre à baragouiner du mot à mot ou si vous êtes plutôt beau(x) parleur(s), vous exprimant de façon fluide en la langue locale. Pour ma part, j’adore tenter de discuter. Mon anglais tend à n’être pas si pire, mon québécois s’améliore au gré des tweets, mon italien reste correct et mon espagnol peine à émerger de l’oubli. Pour autant, quel délice de retrouver CE mot oublié puis repêché des abysses mémorielles et de le caser dans une phrase grammaticalement correcte ! Ainsi, pendant mon séjour chilien, du côté de San Pedro de Atacama, j’ai passé quelques soirées avec des ouvriers locaux qui retapaient la maison où je logeais. Ils parlaient la langue de Cervantes teinté d’un accent puissant. Leur débit semblait inarrêtable et je tentais de m’accrocher à quelques mots reconnus – entr’aperçus – pour pouvoir saisir l’intégralité du message. Malgré tout, en dépit de mon niveau minable, nous avons parlé. Ils m’ont raconté, doucement, mot à mot, l’histoire de la région, de leurs origines, de leur peuple. Ils ont pris le temps d’être compréhensifs. Ils m’ont offert du savoir, de l’échange, de l’humanité. C’est pour des moments uniques comme ceux-ci que je tente de ne pas baigner dans une francophonie permanente, que je tente d’aller vers les autres, dans leur langue, avec leurs mots.

Se dire « Putain, c’est beau ».

Devant les fjords de la Norvège, dans une zone géothermique d’Islande, au sommet d’une montagne d’Alaska ou devant une église de l’Aveyron, ce sont très souvent ces mots qui sortent : « Putain, c’est beau ». A une époque où tout est disponible de façon virtuelle, où les endroits inconnus ne le sont plus pour longtemps, je persiste à ne pas vouloir être blasé et à conserver cet émerveillement qui m’habite. Il est facile d’immortaliser certaines choses, que ce soit par la photo, la vidéo ou les mots. Pourtant, rien ne remplace la valeur d’une chose vue, vécue, ressentie. Rien ne permet de décrire une sensation fugace de beauté et d’épanouissement intérieur. Lorsque je survoles les Andes, j’ai les larmes aux yeux et les tripes en vrac. Lorsque je regarde un ours dans les yeux, je souris et je tremble en même temps. Lorsque je marche depuis cinq heures et que je découvre enfin l’église gothique de Bruges que je croyais perdue, je suis heureux. Continuer à savourer le moment présent, le vivre d’abord pour soi avant de le vivre pour les autres, s’en imprégner jusqu’à ce que ça déborde et ensuite, une fois rassasié, éventuellement envisager de le partager. Il est des silences qui durent une éternité mais qui n’en sont que plus beaux. Il est en de même pour des souvenirs, tels des secrets, qui se brisent lorsqu’ils ne sont plus intimes. Savoir garder certaines graines en soi et les planter dans son jardin personnel. Ne pas tout raconter. Conserver des petites parts de mystères. Se dire, encore « Putain. C’est beau ».

La cordillère des Andes