Notes Nocturnes Endormies

Notes Nocturnes Endormies

Trois heures du matin. La ville et l’appartement sont paisibles, endormis, fatigués. Dans mes oreilles résonnent les chants de Starmania. J’écoute les voix puissantes assener des paroles d’une lucidité toujours aussi surprenante. Au détour d’un morceau, deux phrases retiennent particulièrement mon attention. Les yeux fermés, je les mâche, je les répète, je les ressasse encore et encore, jusqu’à en extraire la moelle, leur sens intime, leur structure. Je les mets à nu, sans pudeur ni vertu et je leur trouve un éclat particulier, une signification profonde et terriblement contemporaine.

Quand viendra l’an 2000, on aura 40 ans,
Si on vit pas maintenant, demain il sera trop tard

Vous vous rappelez de l’an 2000 ? Vous vous rappelez des promesses, des rêves, des fantasmes qui y étaient attachés ? Pour un gamin des années 80 comme moi, ce nombre a 4 chiffres était pourvu d’une magie, d’une aura, d’une puissance spéciale : celle du changement de millénaire, du passage de 1999 à 2000. A l’époque, à cette époque, demain n’avait pas de sens. J’avais 19 ans, la vie devant moi, des études éventuelles à poursuivre, des chemins à déblayer, des décisions d’une importance toute relative à prendre. Rien d’autre. Tout n’était que légèreté, plaisir et insouciance.

Vivre l’instant présent. Profiter du moment. Là. Tout de suite. Ni avant ni après. Carpe Diem d’hier et YOLO d’aujourd’hui. Deux expressions aussi proches que des jumeaux, traçant un pont à travers les siècles. Un symbole. Un talisman. Une ritournelle. Une devise. Un proverbe. Un juron. Une exclamation. Un coup de fouet. Un claquement sec. Un ordre. Un mot susurré. Un billet doux. Quelques lignes tracé la main levée sur une feuille de papier froissée. Des phrases griffonnées sur un calepin fatigué. Une tournure trouvée, retenue, aussitôt oubliée, aussitôt retrouvée. Une ribambelle d’idées. Une guirlande fragile. Un fil qui se déroule sans fin. Une ponctuation cassée. Des verbes disparus. Un paragraphe sans queue ni tête.

Avant, tout était JE. Maintenant, tout est NOUS. Je suis passé de l’existence singulière à la vie plurielle. Et, voulez-vous savoir ? Ce n’est que du bonheur. J’ai l’impression – fugace, fugace, fugace – d’avoir trouvé une place où je suis bien. L’univers dans lequel je gravite, dans lequel je me déplace et évolue est celui qu’il me faut, ici et maintenant. A force d’être en permanence dans le déséquilibre, on apprend à apprécier la stabilité. Ce modèle autrefois honni – le sacro-saint “Une maison, un travail, une famille” peut s’accommoder, s’assaisonner et surprendre par la richesse de ses arômes, de ses expériences. Je suis devenu ce que j’ai toujours refusé d’envisager, petit à petit, poignée par poignée. J’arrive sur des rivages où la stabilité est un gage de force et non une faiblesse. Où il faut penser à eux avant de penser à soi. Où le bonheur réside ailleurs.

Je cherche le soleil,
Au milieu de ma nuit


Doucement, la source s’est tarie. Les paupières se ferment avec langueur tandis que les bâillements se prolongent. L’horloge indique une heure indécente et je ne prends pas le temps de relire. Demain sera un autre jour, comme aujourd’hui fut un autre hier. Mes soleils se sont couchés, au milieu de ma nuit, je sais où les trouver, endormis. Je m’en vais les rejoindre.

Bonne nuit !