Le marché de Catane

Au mois d’avril, je suis parti une semaine en Sicile pour encadrer un séjour scolaire. De Catane à l’Etna en passant par les iles éoliennes, j’ai découvert cette partie de l’Europe que je connaissais pas encore. Sans rentrer dans tous les détails du voyage, ce qui serait terriblement fastidieux, j’ai cependant eu quelques petits coups de cœur que je me fais un plaisir de partager avec vous. Le premier d’entre eux s’est passé dans la ville de Catane, notre lieu de résidence. L’endroit n’est pas spécialement beau ni pas spécialement charmant mais doté d’une atmosphère vivifiante et typique, pleine de clichés et d’impressions. Cette atmosphère, je la touchais véritablement du doigt chaque matin, quand je partais faire le marché pour nourrir les quelques 55 participants du séjour. Un véritable voyage olfactif, visuel et sonore… et l’objet de cet article !

Le soleil de Catane

Le marché de Catane

Il faut vous imaginer quelques ruelles qui se croisent et se recroisent non loin d’une grande place. Tout au long d’icelles, dans le moindre mètre carré disponible, se trouve un marchand. A droite, c’est un étal de fruits et légumes où le soleil semble caché dans chaque produit. A gauche, c’est une boucherie qui déborde de charcuterie, de jambons et de saucissons qui semblent braire tellement ils sont frais. Un peu plus loin, on aperçoit une poissonnerie avec ses monstres pêchés non loin de là et qui régaleront ce soir quelques dizaines de convives rassemblés autour de la table familiale…

Le marché de Catane

Dès 6 heures, l’activité est déjà frénétique. Les acheteurs en gros font la tournée des habitués, les clients se rassemblent autour d’un petit kiosque à café et débattent des résultats du calcio de la veille. Le soleil n’est pas encore levé que les camions ont déjà déversé leur cargaison, que les étals ont été monté et que les négociations commencent, en sourdine, sous le regard aussi malicieux que chamailleur des autres quidams de passage.

Marché aux poissons de Catane

Rapidement, j’ai compris qu’il fallait accepter de se perdre, ne pas vouloir tout acheter au même endroit et, surtout, qu’il fallait se mettre au rythme sicilien, nonchalant, patient et déterminé. Dans cette région minée par la pauvreté, tout finit toujours par s’obtenir, au prix de mille et un détour, de mille et unes combines et en mettant les nerfs des parisiens à très sérieuse épreuve…

Comme, de plus, l’anglais n’est pas absolument pas usité dans ces latitudes insulaires, chaque discussion prend parfois des allures de vaudeville, comme ce marchand a qui je demandais “85 tranches de jambon” et qui était persuadé que je voulais une tranche à 85 centimes. Il nous fallu 5 minutes, deux téléphones portables et 3 assistants pour que nous arrivions à nous comprendre, à grands renforts d’une gestuelle made in Comedia del Arte renforcée d’expressions aussi locales que peu flatteuses…

Stands ordinaires de Catane

La variété des produits proposés ne rivalise qu’avec le prix absurdement bas qu’il faut payer pour en acquérir la priorité. Des palettes entières de fraises d’un rouge sensuel, donnant envie de mordre à pleine bouche. Des kilos de clémentines prêts pour une orgie démentielle. Des tomates en grappe qui font penser à une bolognaise infinie… Je n’ai jamais vu une telle profusion de nature dans un marché local et je crois que le groupe qui m’accompagnait à regretter très vite de ne plus pouvoir goûter – dans le futur – à l’incroyable fraicheur que propose la Sicile à ses habitants, jour après jour.

Les fraises de Sicile (et Barnabé)

Entre deux proscuttis à se damner, le marché recèle quelques surprises aux estomacs fragiles peu habitués à la vision de la viande fraiche (à fortiori de bon matin). Des agneaux entiers, écorchés, se balancent aux crocs des bouchers. Leurs tripes sont déroulées un peu plus loin, pour quiconque désire en faire une spécialité locale. Je ne sais pas quel usage peut être fait de ces bêtes mais j’avoue n’avoir été nullement choqué par ce que j’ai vu. Par contre, j’imagine sans peine les cris d’orfraie que pourraient pousser quelques bonnes âmes oublieuses que la viande vient bel et bien des animaux avant d’arriver dans leur assiette…

Les moutons écorchés de Catane
Les tripes des moutons

C’est d’ailleurs en prenant ces clichés que je suis tombé sur le plus bel exemplaire d’espadon possible, lui aussi prêt à être bouffé, dépecé et savouré (et dont le nez servira surement de broche pour un futur barbecue…).

Espadon sicilien

A force de me voir trainer, les marchands ont vite compris que j’étais un gros client. Ainsi, au troisième jour, j’ai été surpris de me voir alpagué et salué comme un vieux collègue alors que je m’apprêtais à faire mes (dernières) emplettes du séjour et que je me dirigeais vers mon copain de la veille dont la qualité des produits m’a ravi. La relation entre client et vendeur est vraiment intime, spéciale et marrante. Les deux se connaissent surement depuis l’Aube des temps et continuent cependant à négocier chaque centime, chaque gramme, dans un curieux rituel inchangé et qui semble être d’une logique imparable. Je me suis même retrouvé à devoir goûter et comparer deux jambons différents pour aider un client dans son choix… et je me serais fait vertement engueuler si je m’étais défilé !

Un exemple d'assort

Les surprises ne s’arrêtent jamais pour qui sait se montrer curieux. C’est en cherchant du pain que j’ai trouvé mes tomates. C’est en cherchant des tomates que j’ai trouvé mon jambon (et mon saucisson, mes salamis, des fromages, ma mozzarella…). Et c’est en cherchant où était garé le bus que j’ai trouvé les vendeurs de rigatti ! J’avoue avoir eu un petit moment d’incompréhension – une fraction de secondes – avant de comprendre que ce gros tas de machins gluants était bel et bien une montage d’escargots mais, après tout, pourquoi pas ? En tout cas, les jeunes n’ont pas voulu entendre parler d’une quelconque tentative de dégustation…

Les escargots de Catane

Un dernier cliché, une dernière photo et je laisse derrière moi ce lieu hors du temps, si banal pour les locaux mais si riche pour moi. J’y ai trouvé l’âme vivante de la Sicile, incarnée dans ces vendeurs, dans ces discussions et dans cette chaleur qui réchauffe le cœur du voyageur pensant l’authentique paumé, disparu et oublié…

Le marché de Catane

Si vous désirez vous aussi vous plonger là-dedans, dirigez-vous de bon matin vers l’un des nombreux marchés de la ville et laissez-vous porter, simplement et distraitement, par la Vie: une expérience inoubliable. Le “mien” est situé non loin de la Piazza Curro, vers la Via Zurria, la Via Lavandaie et la Via Zappalà… mais chacun de ceux disponibles est la promesse d’une aventure humaine parfaite et l’occasion de dépenser, intelligemment et localement, vos deniers durement gagnés !