Lettre à ma Ville

Bonjour Paris.

Tu m’excuseras de ne pas commencer cette lettre par les habituels possessifs et autres hypocrisies que sont les Ma, chère, très chère… mais le contenu à venir de me permet pas la gratuité d’un début pareil.

Tu dois bien te douter de ce qui va suivre, de ce que je vais t’expliquer. Nous l’avons senti venir tous les deux et il est grand temps de se le dire en face:

C’est fini.

Plus de toi et moi, plus de nous.

C’est fini.

Je sens déjà venir au loin cette même discussion que nous avons eu si souvent. Cette répétition interminable, cette redondance grotesque des sempiternels arguments fatigués à force d’avoir été mille fois répétés.

Tu vas me raconter à nouveau cette histoire. Ma naissance, mon enfance, mes années heureuses passées en ta compagnie, mes errances en toi plus tard. Le plaisir que j’avais à te découvrir, à me balader à tes côtés, lisant tes écrits, me perdant au gré de mes envies nocturnes, de mes rencontres amicales.

Mais tout cela, c’était avant. C’était avant que je ne te trompe, que j’aille voir ailleurs, lassé, ennuyé, blasé.

Car oui, je t’ai trompé. J’ai serré dans mes bras la froideur océanique de Saint John’s. J’ai bu avec toute mon âme dans d’obscure pubs irlandais. J’ai marché dans la rigueur géométrique de tes consœurs d’un autre continent. Je suis allé me perdre dans ce qui ne serait pour toi qu’un simple hameau, dans cette région qu’on appelle le Yukon.

Et tu sais le pire ? J’y ai pris du plaisir. Je t’ai trompé avec vergogne et jouissance, crachant encore et encore sur toi, à longueur de temps, honnissant ton nom et ce que je fus, non sans une certaine mauvaise foi.

Je dois bien reconnaître que tu as su, plus tard, me regagner. Tu m’as chuchoté à l’oreille des mots magiques. Culture, musées, travail, pub, amis, Histoire…

Mais quoi !

Je ne te reconnais plus et, encore plus horrible, je ne me reconnais plus en toi.

Tu te drapes dans ta dignité Capitale pour justifier tes errances, pour mieux te cacher. Tu fausses ton jeu et tu me coûtes cher. Ta frénésie incessante m’agace, m’exaspère, m’irrite. Ton grisaille m’agresse et ton paysage me mélancolise.

Alors je suis désolé. Désolé que notre histoire se finisse ainsi. Sans larmes et sans pleurs, sans haine ni colère. Tu continueras à être celle que tu prétends être, au lieu d’être celle que tu me disais vouloir devenir.

Adieu donc ! Je m’en vais, je me barre, je me casse dans les bras d’une autre, rencontrée au détour d’une carte et qui saura peut être mieux me satisfaire que toi, ne serait-ce que pour un jour si ce n’est un an.

Salut Paris. Et sans rancune.