Le saigneur des agneaux

Je m’interroge, longuement et calmement sur le sens de ce titre ô combien explicite.

Ai-je pensé humourisé sur la trilogie Sauronienne ? Ai-je cru pouvoir attirer un nouveau lectorat en l’appâtant avec ce subtil jeu de mot ? Ai-je donc seulement pensé ?

Que nenni, que nenni !

Après une longue semaine de silence, j’ai en effet choisi d’intituler ce nouveau billet, 591ème du lieu, en hommage à toutes ces innocentes bestioles passées par le pouvoir de la fourche electrifiée et le fer du boucher, pauvre petites bêtes gambadant joyeusement le matin et finissant servies sur un splendide barbecue le soir.

De ça...
... à ça !

J’ai eu une impression étrange pendant mon voyage néozélandais: un rapport à la nourriture et plus spécifiquement à la viande, beaucoup moins tabou que de par ici.

Je m’explique (parce que c’est un peu confus):

Il me semble que la population, en générale, n’aime pas faire le lien entre “petit mouton tout mignon” et “succulent morceau de viande qui fond dans la bouche”. Elle n’aime pas non plus, cette charmante populace, apprendre ou entendre parler des conditions d’abattage du bétail destiné à son alimentation carnivore.

Et pourtant, ne serait-ce donc pas la moindre des choses, à notre époque où tout est n’est qu’étique, citoyenneté et solidarité, de porter une once d’intérêt à ce domaine un peu malsain ? Ne serait-il pas logique que des consommateurs responsables s’enquérissent de par eux-même sur les modes de mise à mort, de découpage, de recyclage ?

Mais…

Y a un os !

La vérité était ailleurs, cachée et totalement taboutisée, personne ne va faire l’effort, se contentant de lire les biens sibyllines informations délivrées par les bouchers/supermarchés/restaurants et relatives à la nationalité du bovin servi en assiette (probablement histoire d’être sur qu’il ne s’agisse pas d’un veau slovène ayant grandi en Angleterre ou d’un bœuf texan…).

Au pays des Hobbits, ce rapport à la viande est tout autre: il est sain, dans toute la majesté du terme (oui Sire !).

Je dis ici pourquoi:

Pourquoi

Et je vais même plus loin:

Pour avoir vu les fermiers désigner d’eux-mêmes la bête qu’ils voulaient voir abattue et choisir les morceaux consommés le soir, pour avoir visité un abattoir, pour avoir fait un ultime (quoique bien involontaire) adieu à mes Brochettes sur pattes d’un soir sans le moindre regret, pour avoir de même découpé de mes frêles et tendres mains une carcasse de vache à la scie, je me suis retrouvé plongé dans un monde à mille lieux de l’asepsie intellectuelle citadine.

J’ai eu également à moult reprises l’occasion de converser avec des étripailleurs, des égorgeurs, des capillobrûleurs, des désanusseurs (noble métier si il en est), des désosseurs, des broyeurs… dont la lucidité du discours quant à la nécessité de tuer pour vivre m’a laissé souvent songeur .Là-bas en effet, il est noble (Oui sire, op.cit) de travailler dans le monde des viandards. Les salaires sont attractifs, les conditions de travail correctes (apparemment) et les perspectives d’évolution professionnelle réelles.

Quand je pense à de par chez nous, il fut un temps où le métier était souvent synonyme de sang, de locaux emplis par les beuglements affolés du bétail, par des pintes de liquide chaud tout droit tirées d’une jugulaire à peine ouverte, avec de sombres triques encloutées brandies et abattues frénétiquement par de gros et poilus bourreaux ivres de violence dès le matin, arrivant en titubant d’un troquet crasseux où les verres de blanc sont vidés plus vite que les tripes fumantes d’une vache fraichement égorgée.

Pour conclure gaillardement

Tout ça donc pour en revenir finalement à une seule chose: la consommation (et la culture) de la viande là-bas m’est apparue infiniment moins hypocrite que de par ici dans le sens où tout le monde connait plus ou moins le processus allant de la naissance à l’arrivée au rayon froid du supermarché et ne s’émouvant guère, tant que la qualité est au rendez-vous.

D’aucuns me diront que les différences de cultures, de pays et de rapport à la nature sont des éléments à prendre en compte. D’autres m’assèneront qu’il ne s’agit que d’un ressenti personnel et non d’une volonté générale. Certains oseront même remettre en cause la viabilité du raisonnement.

Dans tous les cas de figure, je ne dirais que ceci:

Bon appétit bien sur !
  1. Yo,

    Je pense que tu as en partie raison.
    Après, la campagne de NZ, là où tu as officié doit être la même qu’en France.
    L’éleveur du cantal ne te dira jamais que son petit veau est mignon. Il ne te dira jamais que la cohorte de petits chats qui font “miaou” devant sa maison le fait craquer.
    Le veau est une future pompe à lait ou a viandasse, le petit chat qui fait “miaou” est un nuisible.
    -> Bien faire la différence entre un avis de citadin et celui d’un agriculteur auvergnat (pour ne citer que cet exemple).

    Est ce qu’à Wellington on a bien conscience de ce qu’on a dans son assiette ?

    Au 27/05 alors !

  2. Ce n’est pas une question de culture, je pense. Ma grand-mère, élevée à la ferme, n’avait absolument aucun mal, toute petite, à aller tuer le poulet du dimanche. Je n’ai pas été élevée à la ferme mais à la campagne, et mes camarades qui eux, avaient des parents paysans, n’avaient absolument aucun mal non plus à mettre la main à la pâte. Notre rapport à la viande a changé, pas parce que nous sommes européens, mais parce que nous sommes en grande majorité des citadins, ayant perdu tout contact avec la terre. Ce n’est pas du tout péjoratif venant de mon clavier, par contre.
    Ce que je veux dire, c’est que même si on sait très bien comment ça se passe, on n’a justement pas envie d’en savoir plus.
    Et d’ailleurs, ça se manifeste bien par le fait que les viandes entières (tête de porc, lapin) sont de moins en moins achetées : on voit explicitement de quel animal ça vient, et du coup ça nous dégoûte.

      1. Dans les abattoirs industriels ? Malheureusement, oui… Mais j’ai la chance de pouvoir acheter 50% de ma viande à un gars qui tue lui même ses bestiaux. Mais je suis pas sûre que ce soit moins douloureux pour autant.

        1. J’avais lu un article sur les bœufs japonais qui sont chouchoutés comme pas possible.

          Il apparaitrait que l’égorgement soit la méthode la plus adaptée pour garantir le moins de souffrance possible (à condition que cela soit bien fait, of course).

          1. Après, si on part du postulat que la mort est forcément souffrance (à moins de les endormir dans leur sommeil :D), je ne sais pas s’il y a une solution miracle

  3. Et bien je reviens justement de la visite d’un élevage de canards gras, avec photos à l’appui des explications de toute la chaîne de production, du poussin au magret de canard fourré au foie gras.
    Je suis repartie avec quelques bocaux de conserves !

    Si force est de constater que je n’ai aucun mal à trouver mignon un petit agneau et à déguster avec grand plaisir l’une de ses côtelettes un peu plus tard, il faut croire que ce n’est pas le cas de la majorité des gens.
    Alors qu’on nous diffusait tout à l’heure les photos du gavage, de l’abattage ou du découpage des canards, certains de mes voisins étaient moins enthousiasmés que moi à l’idée de manger du foie gras. Et je pense que ça correspond en effet globalement au niveau de ruralité des personnes concernées. (même si je suis un contre exemple, étant une parisienne de première).

    1. Intéressante intervention.

      Je pense également que le niveau de ruralité est en enjeu important dans l’approche de ce domaine (bullshit writing !).

      Tu f’ras partager les conserves ?

  4. Perso, j’étais étonnée que la productrice de foie gras nous montre toutes les photos, y compris pas ragoûtantes et j’en ai discuté avec elle. Sa réponse m’a bien plus : “En même temps, on va pas laisser croire que le foie gras tombe du ciel, c’est par soucis de transparence”. Tout en expliquant que ce n’est pas une maladie, contrairement à ce que disent certains, et que ça n’entraîne pas de souffrance particulière, y’avait cette volonté de montrer que, oui, quand on découpe une bestiole, y’a du sang.
    C’est plutôt bien finalement.

  5. En voilà un article qu’il est bien ! Pour avoir vécu quels trucs similaires en NZ (vive le HelpX !), je pourrai presque arriver à la même conclusion… Mais, pour moi, c’est juste… eh ben… la campagne et la ville !

    Bon, en fait, je viens de voir qu’Isabelle et d’autres avaient déjà dit la même chose, je ne vais pas en rajouter une couche. 🙂
    N’empêche, ayant un pied dans les deux (ville et campagne) depuis mon enfance, je peux dire que le rapport aux animaux n’est pas le même !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.