Je voyage donc je suis

Dans la directe lignée de l’article « Une certaine idée », voici une sorte de manifeste, pot pourri, réquisitoire de ce que je ne supporte pas de voir appeler voyage et de tout ce qui gravite autour. C’est forcement subjectif, de mauvaise foi et assez malvenu. Vous êtes prévenus.

L’assistanat à outrance

Voyage est à mes yeux synonyme de découverte, d’implication, de quête vers l’information. On s’implique et on ne subit pas.

La tendance naturelle de notre société contemporaine est d’aider autant que possible, de simplifier la vie, de prévenir les dangers potentiels, d’avertir l’honnête consommateur qu’il risque sa vie à chaque instant.

Or, j’aperçois de plus en plus autour de moi – Internet y étant forcément pour quelque chose – des gens projetant de partir à l’autre bout du monde mais ne faisant pas l’effort minimal nécessaire pour préparer de par eux-même ce qui est leur voyage. Tout doit tomber dans le bec, directement mâché et prêt à être assimilé sans aucune autre participation active qu’un « Help ! Je suis perdu !!! »

Ne pas être le concepteur principal de son voyage, c’est d’ores et déjà le gâcher.

Les tours en Bus

Les routes de Nouvelle Zélande sont parcourues à longueur de journée des ramassis pantouflards engoncés dans leur siège, souriant béatement au premier paysage venu et n’ayant pour toute satisfaction que de se coller une mine le soir à l’auberge après avoir marché probablement une heure dans la journée, entre deux arrêts photos.

Ces voyageurs, qui osent se donner le titre ronflant de routard, vagabond, backpacker ne sont en réalité qu’une masse difforme et unicellulaire, faisant le bonheur de ces compagnies ignobles que sont le Naked Bus, Kiwi Experience et autres Kontiki, lesquels je conchie fort peu amicalement.

Quel plaisir y-a-t’il donc à passer des semaines entières avec exactement la même faune, voyageant dans un bus dans les horaires précalculés à la seconde prêt ne différent jamais d’une semaine à une autre. Ou est la découverte intime d’un pays lorsqu’on circule sur les routes surfréquentées, sans jamais aller plus loin que ce qui est marqué sur la brochure de réclame ?

Le pire survient probablement lorsque l’une de ces boites de conserve sur roues dégueule son chargement dans l’auberge où vous êtes et que vous assistez, impuissant, à une invasion en règle de votre chambre par des petites minettes dont la valise est remplie à moitié de produits de beauté, dont l’humble nez est choqué par l’odeur de vos chaussures et qui s’attend à trouver dans un dorms la qualité d’un 4*, l’intimité en sus.

Le toujours plus à voir, toujours plus à faire

Il semblerait qu’un pays puisse se résumer désormais à une litanie d’endroits touristiques où aller à tout prix, sous peine de se voir répondre, inlassablement, une fois revenu au bercail: « Quoi, tu es pas allé à xxxx ?  Mais tu déconnes, t’as rien vu du coup ! ».

Ne pas faire les spots chantés et louangés par les masses abruties est probablement le pire pêché inavouable, qui vous fait passer pour un blaireau de première classe, arborant au revers de sa veste la médaille des crétins, décernée par le roi des imbéciles.

Bien sur, personne ne connaîtra les coins paradisiaques où vous êtes allés. Personne ne saura les émotions ressenties dans la solitude des déserts. Personne ne pourra témoigner de la beauté irréelle de cette plage découverte au fin fond d’une ile non fréquentée.

Non, non et encore non !

Rentrer dans le jeu du « Plus j’en vois, plus je voyage » n’est pas une solution ni un satesficit. Un pays se dévoile petit à petit, tendrement, lentement, au fil des trajets et des errances. Il ne résume pas à une litanie de monuments, de randonnées, d’activités touristiques à faire absolument.

Il arrivera un jour où l’on se verra remettre, après son séjour (ou le jour du départ), un certificat officiel attestant de la réussite du voyage et ce en fonction d’une liste pré-établie en amont, décrivant chaque endroit à visiter, chaque ville où rester et dont le remplissage (quasi) total sera le seul et unique moyen de pouvoir dire « J’y suis allé », tout en montrant fièrement l’officiel papelard accroché au passeport !

La glorification du banal

Il ne faut pas se leurrer: voyager est devenu un acte bénin, d’une facilité déplorablement avilissante (dans le sens où un clic sur internet et une carte de crédit convenablement remplie suffisent à aller au bout du monde en 5 minutes).

Je suis pour par ma part un cliché vivant:

Barbu, chevelu, me baladant en stop avec mes gros sacs à dos, sans planifier mes trajets, bossant au gré des opportunités, trempant dans le sang et la merde de mouton, ramassant des brouettes entières de chiure chevaline, trekkant sur des chemins de chèvre, tondant, coupant, rasant, fixant.

D’au autre côté, je ne recherche pas la compagnie humaine. Je n’essaie pas de me lier avec les gens dans les auberges. Je ne partage pas ma bouffe ni mes boissons et je ne rie que rarement aux blagues que j’entends. Je ne prends pas part aux beuveries collectives, je n’échange pas de regards coquins avec les allemandes aguicheuses et je souris aux gens quand ils me regardent.

J’ai habité au Yukon, j’ai trainé mes guêtres en Alaska, en Islande, en Russie ou en Irlande. Je suis maintenant en Nouvelle Zélande en attendant d’aller autre part.

Cela fait-il de moi un être d’exception, un héros des temps modernes, un Jack Vance contemporain ?

Que nenni !

Le vrai culte, je le voue à ceux qui ont défriché le chemin, à ceux qui sont allés les premiers vivre leur vie sur des territoires vierges, sans personne pour leur tenir la main, pour leur mâcher le travail et soigner les petits bobos mentaux en 5 minutes.

Ah le temps béni des Paris-Katmandou en stop depuis la Porte d’Orléans, des premiers PVTistes canadiens !

Lorsque l’on se rend compte qu’un WHV s’obtient en deux jours, qu’il est possible de faire un tour du monde in ze pocket pour 2000 euros et des brouettes, je trouve de plus en plus que la lumière des projecteurs est dirigée vers les mauvaises personnes. Tout n’est désormais que publicité, buzz, réseau viral, sponsorship, partenariat et autres.

Moi, mes héros s’appellent Aude, Alexandra, Aurélie, Nicolas ou Maud. Et pourtant, qui les connait ?