Il n’y a que les mots qui m’aillent.

Quand s’en vient la fin d’année, deux choses tombent naturellement : les feuilles des arbres et les bilans, de tous poils et de toutes formes. Ecrire un tel article est un exercice bien spécifique, à la limite de la schizophrénie. Comment revenir sur les 365 jours écoulés tout en essayant de rester impartial et d’une objectivité absolue en parlant de soi-même, sans tomber dans l’hypocrisie, la subjectivité, la flatterie ou l’auto-congratulation ? Pourtant, aussi périlleux ces écueils soient-ils, se pencher sur son propre bilan est l’occasion propice pour essayer de jeter un regard analytique et acéré sur ce qui a été fait, sur ce qui est fait et sur ce qui doit être fait. D’avant-hier à aujourd’hui, le moment me semble donc idéal pour se poser devant une cheminée, avec une bonne tasse de café et de laisser vagabonder les pensées, pour ce dernier écrit de l’an de grâce 2018.

Ecrire, c’est vivre.

Du général…

L’univers des blogs, en 2018 est aussi réjouissant que déprimant. D’un côté, c’est une profusion de contenus, de créations, de prises de risques, de valeurs sûres confirmées, de découvertes, de rencontres. D’un autre côté, c’est le jeu de dupes de l’influence, des chiffres truqués, de la redondance permanente de choses déjà lues, vues, entendues mille et une fois et de la visibilité offerte en lieu de salaire. Instagram n’en finit plus de faire parler, le reach organique des réseaux sociaux s’effondre chaque jour un peu plus et les blogs renaissent une nouvelle fois, alors qu’ils furent annoncés morts (comme à chaque printemps depuis l’apparition d’Internet).  Au milieu de tout cela, avec mes dix années passées ici, je hoche la tête partagé, entre admiration et dépit. Je suis admiratif de ceux qui vont au bout de leurs idées, de leurs passions, de leurs envies, en empruntant les chemins normaux, en ne cédant pas aux sirènes de la tricherie et en restant droit dans leurs plumes. Je suis dépité par les rêves entretenus autour de la création de contenu, par le mythe des voyages gratuits pour dix minutes d’écriture par semaine, par ces vies artificielles entr’apercues le temps d’une photo sur une timeline, hublot virtuel aussi onirique que mythomane, par lequel on ne regarde que parce qu’on le veut bien.

Au particulier.

Au milieu de ce fatras, j’ai pris le choix du recul. Me détacher de Facebook; m’éloigner d’Instagram et de sa toxicité. Il n’y a pas rien de plus nocif que de scruter, encore et encore, les comptes que l’on sait pertinemment faux. Il n’y a rien de plus mauvais que de trop savoir. Il n’y a rien de plus malsain que de chercher à tout découvrir. Le temps passé à cela est du temps gâché, qui pourrait être si mieux utilisé. Se concentrer sur soi-même et sur son propre contenu, travailler ses articles, ses photos, son blog, travailler à s’améliorer plutôt que de vouloir reproduire chez soi ce qui semble fonctionner ailleurs.  C’est d’ailleurs vers cette démarche que je me suis orienté cette année, avec seulement une vingtaine d’articles publiés au crépuscule de 2018. Publier moins pour publier mieux, se laisser du temps, attendre le moment idoine pour ouvrir les vannes, s’écouter et écouter ses envies pour ne jamais perdre de vue ce qui est le cœur même de notre passion, de notre métier, de notre profession de foi : le plaisir, qui est et doit rester le moteur, le centre, la motivation. Plaisir d’écrire, plaisir de partager, plaisir d’offrir et de recevoir. Le jour où je n’aurais plus ce plaisir, le jour où je le sentirais s’en aller, ce sera alors signe qu’il est temps d’arrêter, de tourner la page, de passer à autre chose. J’ai cru, en novembre, que ce moment était venu. Plus rien ne voulait venir, plus rien ne voulait sortir. La page restait d’une blancheur absolue, virginale, terrible. Puis, timidement, les mots sont revenus frapper à la porte et le blog a repris vie, pour quelques temps encore.

Vivre de ma plume

J’ai conscience d’une chance : pouvoir faire un métier que j’aime, auquel je n’aurais jamais songé et qui s’est dessiné, affiné et confirmé au fil des années. Ce métier, c’est écrire. Les frontières de ce métier sont pour autant assez floues, assez indistinctes. Après six années, je sais désormais ce que je veux, ce que je vaux et pourquoi mon profil, mes compétences, sont recherchées. Je sais également que beaucoup de rêves sont entretenus autour de cela. Qui n’aimerait pas être payé pour écrire sur des domaines qu’il affectionne ? 

Pourtant, il ne faut pas occulter la vérité : tout le monde ne peut se le permettre. La recherche permanente de clients, les délais de paiement parfois ubuesque, les démarches administratives toujours plus lourdes (et aberrantes), les tarifs tirés à la baisse (à dessein, tristement) et la méconnaissance globale des pratiques légales par les nouveaux arrivés font qu’il devient difficile de trouver sa place et de vivre de sa plume. Il devient alors important, essentiel de viser la polyvalence éditoriale, de rechercher le long-terme et de ne rien lâcher, sans compter sur personne d’autre que soi. 

Il n’y a que les mots qui m’aillent : c’est le bilan principal que je fais de cette année éditoriale. Pas de vidéo, pas de podcast, peu de photos. Les mots, encore les mots, rien qu’eux. Ils sont ma force, ma qualité et je m’appuie sur eux pour raconter, narrer, expliquer, partager. Je crois même qu’ils sont mes meilleurs amis, mes compagnons du quotidien et qu’ils m’accompagneront jusqu’au bout du chemin. En attendant, de belles, de très belles choses s’annoncent déjà professionnellement pour 2019. Des parutions papiers, des partenariats et la confirmation que je vais dans le bon sens, tout simplement.

Voyage et partage(s).

2018 fut, d’un point de vue voyageur, d’une richesse extrême. De nombreuses balades, de très belles découvertes, des moments uniques et magnifiques et un été d’une beauté absolue. Beaucoup de France, pas mal d’Europe et une pincée d’Amérique du Nord : nous avons vu du pays, sans que cela n’aie forcément été programmé en amont. Il a souvent été question d’opportunités saisies, de rabais attrapés au vol et d’envies concrétisées. Tout fut une question d’envies, au pluriel bien singulier.

Du partage en voyage

D’ailleurs, cette notion d’envie est devenue un enjeu dont je ne soupçonnais pas l’importance jusqu’à très récemment. Auparavant, quasiment chaque voyage donnait lieu à un article, ici ou là. Or, cet été, quelque part dans les Bauges, lors d’un repas idyllique avec ma douce et bien-aimée #DeT, je me suis posé cette question : “Doit-on vraiment tout partager ?”. A une époque où tout est retranscrit en temps réel, où tout se doit d’être partagé, devons-nous, en toute conscience, saisir sur le vif et poster dans la foulée ? Le voyage n’a-t’il plus le droit d’être intime, anonyme, protégé et enterré ? Une adresse encore méconnue doit-elle être diffusée au plus grand nombre, propagée, vaporisée dans le Chaos des Internet ? Ne faudrait-il pas, au contraire, conserver ces lieux, ces endroits, ces recoins de charme encore anonymes et les garder pour soi ?

Je n’ai pas de réponses précises mais je sais que je deviens de plus en plus réticent à tout partager. Cela ne concerne d’ailleurs pas que les adresses mais intervient de façon plus globale, plus générale. S’offrir une surexposition, ainsi qu’à ses proches, n’est peut-être pas la meilleure des choses à faire. J’ai instauré, inconsciemment, une frontière, une barrière. Là où j’aurais posté de suite il y a quelques années, je ne fais plus. Cela se ressent aussi dans les articles, dans l’écriture. Peut-être moins d’intimité, moins de personnel, plus de narratif. 

Et pourtant…

Pourtant, l’envie est féroce de tout raconter.

Berlin, Édimbourg, les Pays-Bas, la Wallonie, le Perche et New-York, quelques uns parmi tant d’autres. Cependant, ai-je le droit d’offrir à lecture des moments vécus de façon intimiste, en famille ? Même si je m’efforce de ne jamais montrer le visage de ma famille, ne devrais-je pas leur faire signer une autorisation de diffusion d’émotions ? Ai-je demandé à Fils si je pouvais parler de son enfance en public ? Ai-je demandé à Pitchoune si ça ne le dérangeait pas d’être citée ici et ainsi ? Quelles explications fournir, quelles raisons donner si les questions venaient à être posées ?  Ce sera, je pense, l’un des grands enjeux de l’année à venir : recentrer la narration des voyages sur le JE ou continuer sur le NOUS

Du rôle du blogueur dans tout cela

Soit dit en passant, ces interrogations sur le partage me concernent à double-titre : en tant que papa (comme évoqué au-dessus) mais également en tant que blogueur. Je connais l’influence réelle et sourcée que je possède, à mon échelle. Dès lors, il m’est facile d’extrapoler à ceux dont les publications impactent des audiences infiniment supérieures à la mienne : pouvons-nous, eux comme moi, encore encourager au voyage non-raisonné en 2019, alors que la Terre agonise et que tous les voyants sont d’un rouge sanglant et cinglant ?  

Quelle légitimité possédons-nous à encourager les foules à se diriger vers telle ou telle province, vers tel ou tel Parc National ? Avons-nous pleinement conscience des dégâts que nous pouvons provoquer ? Ne serait-il pas plus sage pour l’Humanité, de  simplement fermer tous nos blogs, toutes nos plateformes et de tout arrêter ? Bien sur, tout cela est d’une facilité déconcertante à écrire mais d’une difficulté certaine à mettre en place. Pourtant, je suis et reste convaincu qu’en mettant les actes en adéquation avec les paroles, les blogueurs ont un rôle immense à jouer, que ce soit en bien ou en mal. Et ce sera le futur qui en sera seul juge.  

Instantanés de 2018

En mots

Retrouver Édimbourg à quatre après l’avoir découverte à deux : six années et deux enfants dans l’intervalle. Découvrir Berlin avec des yeux d’enfants, s’émerveiller de tout et de rien, rayer un nom sur une liste. Traverser la France d’est en ouest, du nord au sud, au gré des trains et des coups de tête. Se dire que nous vivons dans un pays merveilleux qu’une vie entière ne suffirait pas à explorer en entier. Chanter les Corons au Stade Bollaert avec mon fils. Une soirée d’été dans le Morbihan, un verre de vin blanc à la main, des tranches de pêche dans l’autre, avec la mer en fond d’écran et les rires des enfants en bande sonore. Nos premières vacances à deux avec #DeT depuis trois ans : la plénitude d’une solitude dégustée chaque seconde. La neige autrichienne, la peur enfantine de monter sur la luge, une calèche dans la forêt assoupie. Une première fois aux Pays-Bas, des vélos, des vélos et encore des vélos. Les yeux écarquillés des enfants à New-York. La formidable aventure humaine du Pechistan, les moments uniques passés avec Mitchka, Jac, Solène et Laurent, ici et là. Le départ en dernière minute à Reykjavik avec Claudia et nos nuits ensoleillées aux côtés de Sophie. La beauté tranquille des routes wallones, le délice d’un waterzoï, la conduite d’un bateau à Dinant. Le Perche, ses roulottes, son cidre : what else ? L’excitation et la tension des jours qui séparent le départ pour les USA. Les retrouvailles avec Strasbourg et Pascale, pas du tout prévues mais magiques. La grisaille rémoise, encore elle. Nos voyages : tout simplement.

En articles, une sélection non-exhaustive

Si vous les avez raté :
Les Carnets d’Édimbourg
Berlin (ou le Tourbillon de l’Avide)
Reykjavik, la cité bicéphale
Opération Pêchistan
Au Nord, il n’y a pas que les Corons.
Aisne, lève-toi (et danse avec la Vie)
Le Perche à l’Infinitif.

Mais aussi : la trilogie sur le voyage en 2050, des histoires de Papa, des récits hivernaux et même des séries photos, entre le Donégal, les Pays-Bas et Paris la blanche.

En photos

© Mitchka // Fish and Child

Le mot de la fin

Merci à toi, à vous, d’être présents ici depuis février 2009. Le blog va fêter l’année prochaine son dixième anniversaire. C’est une fierté. En attendant, je vous remercie de votre présence, de vos messages, de vos encouragements. Puisse cette fin d’année être la plus belle possible pour vous.

Avec hâte de vous retrouver l’année prochaine,
Cedric