Huit ans après

Tous les ans, vers le mois de janvier, c’est la même question rituelle qui revient, encore et encore : dois-je renouveler, pour une année supplémentaire, l’existence du blog ? Jusqu’à présent, cette réponse a toujours été affirmative. Fidèle au poste depuis sa création en 2009, FromYukon (ex Un voyage au Yukon et ailleurs) a donc prolongé son espérance de vie de 365 jours pour atteindre, sauf arrêt mécanique, l’âge vénérable de huit années.

De ce chiffre, je ne sais trop quoi penser. Quelque part, il y a une grande, une immense fierté d’être présent dans le paysage blogosphérique francophone depuis aussi longtemps. Il y a aussi, je ne m’en cache pas, un certain plaisir à le savoir apprécié par un lectorat dont certains sont présents depuis le tout début (chose qui me parait d’ailleurs improbable mais dont je suis extrêmement flatté). S’inscrire dans la durée, avoir acquis une légitimité, une reconnaissance, avoir pu (et pouvoir toujours d’ailleurs) partager des moments uniques et posséder toujours l’envie d’écrire : c’est là une intense satisfaction, surtout au regard du parcours accompli depuis les premiers mots maladroits d’une nuit de janvier 2009.

De la lassitude de bloguer.

Pour autant, tout n’est pas forcément rose. Je connais, par passage, quelque chose qui m’est déjà arrivé auparavant : la lassitude, le manque d’envie, la blancheur d’une page qui ne veut se noircir. La fulgurance des expériences passées vient parfois à manquer et j’ai peur de ne savoir comment m’exprimer. Il y a des dizaines de sujets dont je voudrais parler mais pour lesquels je ne trouve ni inspiration, ni volonté ni même – et c’est peut-être la le plus inquiétant – envie pure et simple. Du coup, le volume des publications est loin, très loin de l’amas des premières années, lorsque tout et rien débouchaient forcément sur un article (du contenu que cela s’appelle de nos jours).

Cette lassitude prend ses racines profondément, en plusieurs endroits : dans les événements du quotidien, dans la frayeur d’un monde qui devient fou, dans une vision du blog qui va totalement à contre-courant de ce qui se pratique et dans un questionnement abrupt et minéral, à savoir si nous, blogueurs, devons vraiment TOUT raconter.

Mais que faisons-nous ?

Je m’interroge aussi sur notre impact concret et notre apport au voyage et aux voyageurs. Ne sommes-nous pas propagateurs de mauvaises pratiques, à ne mettre en avant que le beau ? Ne sommes-nous pas des tricheurs 2.0 ? Sommes-nous vraiment ce que nous prétendons être ? A nous raccrocher sempiternellement à des chiffres, à essayer sempiternellement d’être vus, lus et connus, ne faisons-nous pas exactement l’inverse de ce que nous recherchons ?

Quand j’ai commencé à bloguer ici, nul ou presque n’était professionnel et le contenu textuel pur régnait en maître. Aujourd’hui, la barre a totalement changé de bord et l’on navigue à vue dans des eaux incertaines, en direction de l’exceptionnel, de l’éphémère et de la portée (qu’elle soit organique ou payée). Je crois cependant que, envers et contre tout, le support écrit reste le seul viable sur du long terme et que les valeurs que sont honnêteté, authenticité et persévérance vont revenir, une nouvelle fois, au centre de toutes les stratégies.

Longévité ne veut pas dire qualité

Je pourrais me targuer de dire, qu’en tant que dinosaure (presque fossile), je suis à même de ne fournir que de la qualité, rien que de la qualité, seulement de la qualité. Pour autant, rien n’est plus faux. En effet, le lien entre la longévité d’un blog et la qualité de son contenu n’est absolument pas objectif et ne constitue en aucun cas un argument de poids.

Certains jeunes blogueurs déploient des trésors d’inventivité et semblent explorer de passionnantes contrées 2.0 inconnues au gré de leur récit. Pourquoi est-ce que leur travail ne serait-il pas, au moins – aussi bon, voire même meilleur que celui que fournissent les Vieux de mon genre ?

Cependant, la longévité est un élément à prendre un compte sur d’autres aspects. Combien ai-je donc vu de blogs disparaitre après, une, deux ou trois années ? Combien de fois ai-je soupiré de désespoir en voyant une page s’éteindre, en lisant le mot “FIN” en bas d’un texte ?

Pour bloguer sur la durée, il faut le vouloir. Il faut être à même de trouver la volonté de continuer, l’envie de le faire, d’aller chercher le contenu (oui, le contenu) à la source, en tirer quelque chose. Il faut savoir passer outre les modes, ne pas tomber inlassablement dans l’attrait de ce qui fonctionne ailleurs, savoir faire la part des choses et, par dessus tout, définir, pour soi, ce qu’est un blog.

Exister, ce n’est pas vivre.

En huit années, je me suis rendu compte, avec un léger effroi, de la place qu’avait pris ce blog dans ma vie. Depuis qu’il est devenu un outil professionnel à part entière – presque à mon insu – je ne peux m’empêcher de l’associer à des événements personnels importants et de réfléchir, au fil des jours, à ce que je pourrais y raconter.

Cependant, il y a une frontière ténue, infime, presque invisible, qui sépare la vie de l’existence : l’usage que l’on fait des choses et la façon dont cet usage nous impacte au quotidien. Je n’existe pas du fait de mon blog et je ne vis pas pour lui. Ce que je vis durant mes voyages est avant tout pour moi. Si je devais raisonner et me positionner en permanence par rapport à l’usage 2.0 de mes expériences, je deviendrais l’esclave de FromYukon. C’est lui qui en viendrait à dicter certaines choses.

De la à parler de Dictateur virtuel, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais certes pas. Toutefois,quand je me rends compte à quel point nos vies sont désormais reliées au 2.0 en permanence, je me demande si je n’ai pas basculé, sans le savoir, de l’autre côté de la fameuse frontière…

Et les projets alors ?

2017, forcément, va être une nouvelle fois riche en voyage(s).

En attendant Londres (et deux autres destinations dont je reparlerais tantôt), j’ai des envies de Canada, d’Irlande, de France. D’autres découvertes locales, exotiques, atypiques, touristiques, iconiques. Continuer à garder des yeux d’enfants, à m’émerveiller pour un rien. Et à écrire. Beaucoup, que ce soit ici, ailleurs ou chez Once Upon a Dad !

  1. Cette fameuse lassitude…Parfois, je me dis aussi que c’est du temps perdu sur des projets plus concrets, plus aboutis, qu’un amoncellement simple de petites anecdotes de voyage et réflexions. Et puis, un commentaire, un voyage me relance et j’oublie qu’un jour j’ai voulu arrêter.
    Finalement, durer c’est peut-être accepter les moments de doute, de lassitude et malgré tout, porté par un élan intérieur, se remettre à la tâche.
    Longue vie à From Yukon.

  2. Je crois qu’être blogueur est un excercice d’équilibriste surtout quand celui ci prend beaucoup de place personnelle ou même professionnelle. Son authenticité ne peut rester que si notre envie, nos désirs guident nos voyages, nos écrits. Alors peu importe si parfois la page reste blanche le temps de la maturité, si nous écrivons des choses que nous savons “pas tendance” mais qui nous tiennent à coeur. L’important est de rester soi même et finalement c’est aussi difficile dans la vie 2.0 que dans la vraie vie. Je suis heureuse de pouvoir te lire, j’aime les aspérités dont tu émailles tes écrits et qui en font le sel. Bonne route !

  3. J’ai blogué longtemps ailleurs avant d’ouvrir Itinera Magica, j’ai abandonné, je suis revenue avec ce nouveau projet et je ne regrette pas. Ta longévité est inspirante – non seulement le blog, mais “ce” blog, s’en tenir à une forme, un lieu, en résistant à la tentation des infinies métamorphoses éparpillées. Je comprends tes hésitations. J’aime les blogs qui préservent la richesse textuelle… et le tien en fait incontestablement partie.

  4. Nous, on débute juste. Cet article ne nous est sans doute pas destiné en premier lieu, mais l’équilibre est difficile à trouver, particulièrement la séparation entre la sphère réelle et la blogosphère/le web. J’espère que nous durerons huit ans.

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