Et là-bas, la neige.

Ce texte est le premier d’une série éphémère : #UnJourDesTextes, née sur Twitter. Chaque jour, un thème, des consignes, suggestions et idées différentes. Pour occuper les journées et combler les envies d’écrire ! Y participe qui veut, au jour le jour, le temps que cela durera, aussi longtemps qu’il le faudra.
Crédit photographique : Composita. License libre.

Je m’en souviens comme si c’était hier, de cette promenade. C’était, je crois, un jour de fin d’été. Peut-être même le début de l’automne. Je ne sais plus trop, en fait. Il faisait beau, ce matin-là. Un peu frais mais beau. Ce genre de temps qui donne envie de sortir, de repousser l’habituel pour ouvrir la porte à l’inhabituel, à la surprise, à l’inconnu. C’est comme si un invité surprise venait, comme ça, sans prévenir. Un petit courant d’air frais, qui est le bienvenu.

Nous avions regardé la carte des massifs, des randonnées, de cette région, sans idées précises. Nous voulions, nous pouvions. Il apparaissait essentiel de savourer ces temps précieux, ces minutes qui défilaient et qu’on essayait de rattraper à pleines mains, sans pour autant réussir. Alors, vite, on s’est décidés. On a pointé du doigt un sommet parmi tant d’autres, on a vérifié en express quelques informations et, d’un accord aussi mutuel que silencieux, on a dit oui, ok, d’accord. On y va demain demain matin et advienne que pourra.

Le café chaud du réveil, la routine du départ, les sacs à dos un peu trop remplis et les sourires complices. Tu te rappelles ? On est partis dans la voiture, la tronche encore un peu enfarinée, dans la ville silencieuse. Il fallait compter, m’as-tu dit, une petite heure de route, peut-être deux. Tu n’étais pas sûr d’ailleurs du chemin mais on allait bien finir par arriver, malgré tout. Mais où, en fait ? Est-ce que, quelque part, ce randonnée de l’imprévu, ce n’était pas un voyage juste pour nous ? L’occasion de nous offrir du temps, de l’espace, de l’intimité ? La possibilité d’écrire quelques nouvelles pages, de nous retrouver, de se retrouver ?

Lorsque nous sommes arrivés, un troupeau de moutons passait au loin. J’ai regardé le chien, je me suis agenouillé pour refaire mes lacets et j’ai envoyé un sourire complice au berger, qui ne me fut d’ailleurs jamais rendu. La route avait été paisible. Calme, toute en lacets et virages serrées. A cette heure-ci, hauts perchés dans la montagne, nous étions seuls. Comme à la création d’un monde. De ce monde. Du nôtre.

Alors, tranquillement, nous sommes partis, chacun à son rythme, un pas après l’autre. Tu m’as montré du doigt des bouquetins, je t’ai dit que c’étaient des chamois. Tu m’as regardé mi-navré mi-goguenard, tu as sorti un livre, des jumelles et tu m’as laissé me noyer dans l’océan de ma mauvaise foi, où seule la bouée de l’ignorance me permettait de ne pas couler. Je t’ai dit, oui, d’accord, tu as raison mais quand même. On est repartis. On a pris un chemin puis un autre. Toujours seuls, toujours biens, toujours plus haut. 

Le temps est passé, tout doucement, silencieusement. On a fini par atteindre la moitié de la randonnée et puis on l’a vu, là. La neige, blanche, étincelante. C’était la première de l’année, la dernière de l’été. J’ai eu les yeux qui ont brillé pendant que tu tu te grattais la tête, embêté. C’est qu’elle n’avait rien à faire là, cette neige. Elle n’était pas prévue, pas reconnue, pas la bienvenue. Tu as un peu ronchonné, tu t’es assis et tu as réfléchi. Moi, pendant ce temps, je suis allé jouer avec, dessiner des choses éphémères, la caresser du bout du doigt, y laisser des traces bien vites disparues.

Finalement, tu t’es levé, tu as regardé tout autour de toi et tu m’as dit que c’était foutu pour aujourd’hui, qu’on aurait pu prendre les raquettes et que tant pis, c’était pas grave, c’était une chouette balade quand même. J’ai souri à mon tour, j’ai posé la tête sur ton épaule et je me suis gentiment moqué de toi. Puis, on a pris le sens inverse, lentano, lentano, sans nous presser. Battus par une névé, sans vouloir combattre. Ce n’était pas grave de ne pas voir le sommet, ne pas arriver au bout, de ne pas finir ce chemin. Parce que tu sais, des fois, ce n’est pas la destination qui compte. C’est le chemin. Et ces moments avec toi.

A la fin, on est revenus à la voiture. Moutons, chien et berger étaient partis depuis longtemps. Tu as sorti la nappe, le thermos et de quoi casser la croute, avec Libé posé en évidence pas loin. On a pris nos aises, déballé le pain et le fromage et on a bouffé, là. Nous deux. Dernier moment de ces vacances, dernier instant à deux.

C’était en 2010, 2011 peut-être. C’était une randonné parmi tant d’autres.  Et c’était tellement bien.