Tout ce qui a changé

Deux ans. Quasiment 730 jours ou encore 17 320 heures passées sur cette Terre, à nos côtés, depuis que tu es arrivé, un soir de juillet et que tu as bouleversé, de la façon la plus absolue, nos vies. J’ai déjà parlé de ces changements, profonds, granitiques, qui ont suivi ta naissance. J’ai raconté mes peurs, mes joies, mes appréhensions et nos découvertes quotidiennes au fur et à mesure que se forme notre binôme : toi et moi, moi et toi.

Aujourd’hui, alors que tu dors du sommeil du Juste, je pense qu’il est temps de revenir sur ces changements, de les formaliser, de les coucher par écrit, en gardant en tête, sous forme de filigrane, cette interrogation majeure : “Qu’est-ce qui a donc vraiment changé pour moi, Cédric, jeune papa de 35 ans ?”

Accepter que le temps passe

C’est LA phrase que vous allez entendre forcément, à tout bout de champ, en toute occasion, à tout moment : “Tu vas voir à quelle vitesse le temps peut passer”. Au début, on acquiesce gentiment, on opine du chef et on se contente d’un petit sourire en coin. Puis, à longueur de jour, de semaine, de mois, on découvre que cette phrase, ô combien éculée, ô combien cliché, ô combien répétée, porte en elle une vérité essentielle, fragile et triste en même temps : l’immuabilité du temps qui défile.

Le moment présent est à vivre, à ressentir à son paroxysme. Il faut savoir saisir ses moments, les embrasser, faire corps avec eux car ils sont chacun aussi uniques qu’exceptionnels.

La perception du temps, avant la parentalité, se fait à l’aune des événements personnels : voyages, anniversaire, célébrations, diplômes… L’arrivée d’un enfant dans une famille perturbe, bouleverse, renverse ses jalons pour en imposer de nouveaux. La découverte permanente de nouvelles choses, la stupéfaction béate de chaque seconde fait prendre conscience que chaque seconde passée est perdue à jamais. Le moment présent est à vivre, à ressentir à son paroxysme. Il faut savoir saisir ses moments, les embrasser, faire corps avec eux car ils sont chacun aussi uniques qu’exceptionnels.

Le temps qui passe, c’est la tristesse de ne plus s’émouvoir devant un tout petit bébé qui tient au creux du bras, c’est le dernier biberon, les premiers mots, les sourires qui naissent, les pleurs qui s’apaisent, le langage qui arrive, une démarche fragile et chaotique, des syllabes susurrées, des dents qui poussent et des cheveux qui tombent. C’est des bouches ouvertes, béates, devant des progrès inattendus, des courses folles pleines d’angoisse pour consoler l’enfant tombé.

Être Papa m’a enseigné cette vérité : on ne peut rien contre le temps qui passe. J’ai du apprendre à faire mon deuil de ce qui m’attendrissait hier pour me projeter sur l’aujourd’hui. Laisser derrière moi les moments uniques des premiers mois d’une existence pour me projeter sur les premières années. Plier une dernière fois le petit body, la petite vareuse, la ranger dans un placard d’où elle sera ressortie dans quelques années, l’œil ému et le sourire moqueur. Ce n’est pas toujours facile d’accepter que Bébé devient Petit Garçon, que l’aide de Papa n’est plus systématiquement requise et que – ô paradoxe suprême – cette indépendance naissante est autant source d’une fierté égoïste que d’une tristesse toute voilée.

De MOI à NOUS

En choisissant, de plein gré, de m’occuper de Fils à la maison, j’ai accepté de mettre de côté une certaine partie de mon activité professionnelle. Durant les premiers mois, à l’époque bénie où les journées ne sont que sommeil, cela n’avait pas trop d’impact.

J’ai du accommoder et modifier mon existence en conséquence, pour faire en sorte de trouver le juste milieu entre “Tout pour toi” et “Rien que pour ma gueule”.

Aujourd’hui, à l’aube de cette seconde année, le constat est simple : je compte les minutes où je peux être seul et dégagé de toute obligation parentale pour pouvoir me concentrer sur mon boulot. Soyons clairs : je ne me plains pas. J’ai la chance extraordinaire de voir mon fils grandir jour après jour et de vivre avec lui des moments d’exception. J’aurais pu, bien sur, l’inscrire à la crèche et continuer de travailler. Pourtant, cela ne m’a pas effleuré l’esprit une seule seconde. Dans mon esprit, si cette possibilité, dans le cadre de notre configuration familiale, existait alors je devais en profiter. La paternité est une chose que je ne pense vivre qu’une seule fois dans ma vie. Je n’avais pas conscience, auparavant de ce que cela impliquait (et je ne suis pas sur, à vrai dire, de le savoir plus maintenant). Ce dont je suis certain, cependant, c’est que le centre de ma vie s’est doucement déplacé de MOI à NOUS.

De par sa présence – assumée – au quotidien, j’ai du accommoder et modifier mon existence en conséquence, pour faire en sorte de trouver le juste milieu entre “Tout pour toi” et “Rien que pour ma gueule”. Concrètement, cela a donné lieu à beaucoup de tâtonnements, d’ajustements. J’ai vite arrêté de vouloir aller aux conférences de presse où le silence est primordial, j’ai commencé à refuser beaucoup de voyages et j’ai décidé que la priorité des priorités était de trouver notre équilibre, avec un zeste de dernière minute, une pincée de redondance et un socle à peu près stable sur lequel nous reposer.

Maintenant, lui et moi savons. Il sait que nous pouvons partir, d’une minute à l’autre, à l’Aventure parce que je dois couvrir un événement, préparer un reportage, un article pour le travail ou simplement aller me promener. Il sait que Papa n’oubliera pas le biberon, les gâteaux et le doudou. Il sait que nous passerons forcément par un parc où il pourra jouer, se déguerpir. Il sait également qu’il mangera forcément quelque chose de nouveau le midi (et dont il ne faudra pas forcément parler à Maman, qui ne partage pas forcément mon goût pour les expériences culinaires exotiques). Il sait également que certains moments de la semaine sont exclusivement à lui : le parc, le zoo ou l’aquarium. Il sait de même que, en voyage, nous pensons à eux (lui et sa soeur) avant de penser à nous.

En suis-je malheureux ?
Non.

Y a-t’il des choses que je regrette ?
Oui, forcément.

Je suis des fois exaspéré d’être sollicité (quasiment) H24 et J7. Je repense souvent avec nostalgie aux différentes époques de ma vie où je partais comme bon me semblait où bon me semblait sans avoir de comptes à rendre à personne. J’aimerais, des fois, retrouver la folle liberté de mes vingt ans. Pourtant, toutes ces pensées repartent aussi vite qu’elles sont arrivées, balayées par un sourire, englouties par les deux syllabes d’un mot béni : PAPA.

Vivre dans le questionnement perpétuel

“Est-ce que je dois faire ça ?” ou “Et si on faisait plutôt…” voire même “En fait, je crois que…” teinté de “Hum. A vrai dire, je verrais plutôt les choses sous cet angle…” auquel s’ajoutent des “Ah non, ça, d’accord mais ça, non !”, “Oui mais non”, “OK quoique…” et autres “Ah ? Il fait comme ça avec toi ?”, “Tiens, d’habitude, c’est…”, “QUOI ? JAMAIS DE LA VIE !”

Vous l’aurez compris : la paternité marche main dans la main avec le questionnement permanent, perpétuel et inarrêtable. Chaque minute est source d’interrogations auxquelles les réponses sont loin d’être évidentes. Il y a les petites questions du quotidien, banales et habituelles, relatives à TOUS les domaines de la vie. Il y a les plus importantes, sujettes à de longues (en majuscules) discussions et qui concernent les vacances, l’école, la garderie, la nourriture… Et puis, par-dessus tout, il y a les terribles, les angoissantes, les récurrentes : les questions existentielles nées des pensées morbides d’un Papa très (trop disent certains) soucieux de l’Avenir.

La paternité marche main dans la main avec le questionnement permanent, perpétuel et inarrêtable.

Dans ce monde qui semble devenir un peu plus fou chaque jour, où la violence se trouve presque banalisée, c’est la même pensée qui revient : “Mais dans quel monde vas-tu grandir ?”. Je cherche à ne pas me laisser gagner par la Peur, par l’Appréhension. Pourtant, cela est quasiment impossible. Ce qui se passe aujourd’hui là-bas pourrait très bien se passer demain ici. Ce qui a été évité de justesse hier pourrait très, finalement, arriver après-demain, en pleine conscience. Il faut apprendre à vivre avec ces Peurs, apprendre à les apprivoiser et tenter de s’appuyer sur elles pour (vous) construire de meilleurs lendemains.

A mon échelle, cela est quasiment dérisoire. Les seules armes dont je dispose sont celles de l’Amour et du Voyage. L’amour, pour vous montrer, vous prouver que vous êtes aimés, désirés, que vous avez été voulu et que nous serons toujours (à comprendre : aussi longtemps que nous vivrons) à vos côtés pour vous protéger dans la mesure de nos moyens. Le Voyage, pour vous enseigner ce que ce Monde possède de plus beau, dans sa richesse, sa diversité, son pluralisme. Vous emmener ici et là, vous confronter à l’Autre, vous apprendre à l’accepter et à en tirer le positif plutôt que de vous focaliser sur le négatif. Tenter de vous transmettre des valeurs universelles qui vous serviront quand vous volerez de vos propres ailes.

Tout cela est d’une fragilité presque consternante. Nous ne pouvons rien tenir pour acquis et le moindre frémissement peut tout remettre en cause, en une seule seconde. Une réflexion, une scène de violence, des mots ou des maux peuvent suffire à tout démolir, à tout jeter à terre. Nous devons alors, avec une patience d’architecte, tenter de trouver des explications, un sens à vos interrogations ô combien légitimes.

Si les questions n’ont pas encore de réponses, il se pourrait bien que ce soit au final la meilleure chose qui puisse arriver…

Ce sont ces mêmes interrogations qui nous poussent – en tant que parents – à chercher partout ce qui pourrait être mieux, aussi bien pour vous que pour nous. Nous parlons expatriation, voyage au long cours, tour du monde, vie ailleurs. Quitter Paris pour aller là-bas. Vous offrir ce que nous n’avons pas eu (ou que nous n’avons pas conscience d’avoir eu, qui peut savoir en effet quels sacrifices ont-fait nos parents pour nous) ?

Jusqu’à présent, le point d’interrogation est devenu notre parrain. Il apporte bien peu de certitudes, bien peu de vérités. Cependant, il amène avec lui quelque chose de fabuleux : la possibilité de changer, de modifier, d’avoir le choix. Si les questions n’ont pas encore de réponses, il se pourrait bien que ce soit au final la meilleure chose qui puisse arriver…

Ou pas ?