Cette nuit-là, j’ai (vraiment) givré.

C’était une nuit de 2009, quelque part sur une arrière route de campagne, dans cet état américain que l’on appelle le Montana. Nous nous étions arrêtés là par défaut, sans avoir cherché plus que ça, fatigués que nous étions. Nous avions, une fois de plus, enquillé les kilomètres et ajouté quelques centaines d’unités à notre – déjà – faramineux compteur qui devait avoisiner les 7500 bornes à ce moment présent. Ce devait être une nuit comme les autres, une nuit de calme, de repos et de récupération. Ce fut, envers et contre tout, un enfer glacial et gelé, objet de mon récit du jour !

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Cette nuit-là, je fus (vraiment) givré

Quand vous décidez de parcourir les USA en voiture pendant deux mois avec votre meilleur pote, que vous choisissez délibérément d’utiliser votre moyen de locomotion comme lieu de vie (cuisine, salle de bain, chambre à coucher) et que vous vous apprêtez à TOUT partager, vous avez tout intérêt à sérieusement baliser le terrain en amont. Fort de de cette devise pleine de bon sens, je n’en ai bien sur fait qu’à ma tête et je n’ai strictement rien préparé du tout. Contrairement à moi, mon humble et estimé collègue de voyage (Georginou l’immortel) était venu quelque peu équipé, avec du matériel de qualité, dont un merveilleux et confortable sac de couchage pouvant résister à des températures très négatives. Là où son expérience et son bon sens avaient pris le dessus, j’avais joué la carte de l’improvisation, de la dernière minute et la bonne étoile: ma belle douillette, un sac à viande pas du tout isolant, un faux matelas tout pourri et me voila paré pour l’Aventure, sacrément burné, gravement couillu, largez les amarres et à moi les z’USA !

Un petit signe avant coureur

Les jours précédant ce très regrettable accident, nous avions déjà eu quelques avertissements sans frais: une tempête de neige sur la Cassiar Highway, quelques flocons éparses sur l’Alaska Highway ou encore un réveil blanc au milieu de nulle part. De tout cela, nous n’avions retenu que deux leçons: ma conduite sur neige était malsaine et les nuits dans Titine chaudes. Aussi, comme les plaines que nous traversions depuis le matin étaient belles, que le soleil brillait, rien, strictement rien, ne laissait à penser que le temps virerait au sadique.

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Au fur et à mesure de notre incursion dans la région, quelques petits changements ont cependant commencé à attirer notre attention: quelques nuages, l’apparition au loin de sommets d’une blancheur suspecte et une chute bizarre de la température extérieure. Comme le jour baissait en même temps que l’essence dans le réservoir, nous avons décidé de nous arrêter afin de ne pas nous retrouver embarqués dans une stupide excursion nocturne, à la recherche d’un bien improbable arrêt et d’une pompe non encore repérée….

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A chaque arrêt, nous étions rodés et chacun connaissait par cœur les tâches à effectuer: rangement du coffre, déplacage du bordel, check sur l’itinéraire du jour et les objectifs du lendemain, sélection et préparation du menu du soir, etc etc. Tout cela n’était l’affaire que d’une grosse poignée de minutes et rien ne vint troubler notre tranquillité routinière, en dehors d’une étrange frénésie de ménage et de l’utilisation – inédite – de notre balai…

Le silence de la nuit

Quand mon ordinateur disposait d’assez de batterie, nous cédions immanquablement au plaisir de regarder un quelconque navet, allongés comme des phoques dans le coffre de Titine, sirotant une quelconque boisson locale à base de houblon et devisant gaillardement sur le monde environnant. Cette soirée-là ne dérogea pas à la règle. Si je ne me rappelle pas ce que nous regardâmes cette fois-ci, je me souviens par contre d’un détail qui eut du me mettre la puce à l’oreille: l’ordinateur freezait quelque peu et il me paraissait bien froid au toucher. Cependant, je n’y attachait pas plus d’importance que ça sur le coup et, finalement, m’endormit de concert avec Georginou quelques instants plus tard.

(…)

Quatre heures du matin. Je rêve d’une grande étendue enneigée. Je marche, seul, dans la plaine, enfoncé jusqu’aux chevilles dans une toundra infinie, aveuglé par la lumière qui se réfléchit sur la neige. De la vapeur sort de ma bouche et je… STOP. État de mi-conscience, vague réveil et simple constat: de la vapeur sort VRAIMENT de ma bouche alors que je suis sensé être bien au chaud, enroulé dans mes deux épaisseurs, sans craindre le froid. D’un seul coup, je me réveille et constate, avec effroi, que l’intégralité des affaires autour de moi sont recouvertes d’une fine couche de gel et que même le bidon de 15 litres a gelé pendant mon sommeil.

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Trois choses me vinrent alors successivement à l’esprit, alors que j’étais pleinement réveillé, grattant ma barbe gelée et mes cheveux givrés.

– Qu’est ce que ce bordel ?
– Georges !
– Me rendormir ?

Dormir c’est mourir

Pour pouvoir répondre à la première question, il fallait que je puisse identifier le souci et trouver, autrement dit, d’où venait cet air glacé que n’aurait pas renié Hyôga. Je ne mis que très exactement cinq secondes (et quelques brouettes) à me rendre compte que la porte latérale de Titine n’était pas totalement fermée et qu’un stupide balai s’était glissé dedans, sans que ni moi ni Georges ne le remarquions.

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La réponse à la seconde question fut tout aussi rapide: l’infâme bougre dormait comme un bienheureux et n’avait nullement remarqué que j’étais aux affres de l’agonie, aux portes de la mort, sur le point de trépasser à ses côtés. Quand il daigna se réveiller suite à mes grognements, ce fut pour me signaler, avec moult poésie et bon sens “qu’il dormait bien, que je n’avais qu’à fermer la fenêtre et retourner me pieuter, que demain serait un autre jour et que voila, bonne nuit”.

La réponse à la troisième de mes interrogations fut beaucoup, beaucoup plus longue à se dessiner. J’ai tout d’abord commencé par me remettre dans mon “lit” avant de constater que ce n’était pas viable du tout. J’ai donc décidé de me rajouter quelques couches supplémentaires via une chapska en poil de rats, des chaussettes puantes et deux trois pulls aussi épais que des toisons de moutons néozélandais.

Résultat des courses: j’ai eu encore plus froid et je n’ai pas réussi à faire autre chose qu’à trembloter dans mon coin pendant deux heures, me frictionnant les mains et priant instamment, à voix basse, Georges et le Soleil de bien vouloir se lever, afin que nous puissions décamper aussi vite  que possible de cet enfer gelé.

L’épilogue

Au bout du bout de la nuit, lorsque l’Aube au doigts roses a enfin daigné se montrer à l’horizon, Georges a admis qu’il “faisait peut-être un tout petit peu frisquet” et que c’était “peut-être lui qui était sorti dans la nuit voir les étoiles” mais “qu’en tout cas, il avait foutrement bien dormi même s’il s’était un peu inquiété pour moi à un moment”. Le redémarrage de Titine, dans le froid matinal du Montana, fut une autre cause de frayeur, de même que le vide sidéral de notre réservoir. Heureusement, nous trouvâmes par un quelconque miracle une station faisant essence ET petit déjeuner, tenue par une charmante famille de chasseur n’ayant jamais dépassé les frontières de l’État mais qui s’avéra pleine de bon conseil sur les accès à Yellowstone (notre étape à venir).

Depuis ce jour, j’ai (presque) arrêté d’acheter du matériel lowcost et je ne passe plus mes nuits enroulé dans une couette lorsqu’il fait – 15°C dehors. De même, je m’assure que tout est hermétiquement fermé autour de moi, que nul balai ne vient entraver le bon fonctionnement des portes latérales. Enfin, et c’est bien la principale leçon à retenir, je ne dors plus dans un putain de coffre de voiture au fin fond des USA au mois d’octobre car je préfère le faire désormais en plein hiver !