Souvenirs et réalité: une promesse ou un gâchis ?

Cela fait maintenant quatre ans que je suis revenu de mon premier grand voyage en solitaire (ou presque), celui-là même qui m’a vu crapahuter aux quatre coins de l’Amérique du nord, dans le cadre d’un fabuleux PVT.

Cela fait également quatre ans que je ressasse cette soirée d’adieu à Whitehorse, en août 2009, où les larmes coulèrent, où les promesses se firent éternelles et où chacun prononça cette sacro-sainte phrase: “Je reviendrai”.

Je me demande aujourd’hui si il n’y pas pire perfidie au monde que ces deux simples mots, que cette simple vérité énoncée plus d’une fois à chaque départ, que cet engagement pris devant je-ne-sais-quel-éternel et dont le poids pèse un peu plus à chaque anniversaire, lorsque la mémoire revient et que l’engagement se trouve immanquablement oublié.

“Qui a l’habitude de voyager sait qu’il arrive toujours un moment où il faut partir.”
– Paolo Coelho –

Se souvenir…

L’un de mes collègues d’aventure se refuse à emporter un appareil photo: il considère que les seuls souvenirs valables sont ceux imprimés dont son esprit, dont la forme et le fond seront peut-être altérés au fil des années mais resteront quand même fidèles à une réalité qu’il a vécu. Il préfère se souvenir et se remémorer, quitte à être radical et rien ramener d’autre que le vécu ou un modeste petit objet dont il fera cadeau le temps venu.

D’autres ne vivent que par le concret, le solide, le réel: à qui les clichés, à qui le carnet de voyage, à qui les souvenirs achetés au fur et à mesure du voyage. Certains vont collecter des petits morceaux de papier, des tickets de musée ou des additions de restaurants.

Je rentre incontestablement dans la seconde catégorie: j’accumule de façon éparse toute forme de trace: de la plaque d’immatriculation de ma première voiture à ce pot à café de Cuba, d’un maillot de foot florentin à une bouteille de bière néozélandaise, je conserve et entasse, encore et encore, pour pouvoir me replonger à satiété dans chacune de ces histoires.

… Est-ce trahir ?

Je rêve jour et nuit de retourner au Yukon: c’est un fait, un constat. Je me vois déjà embrasser le tarmac à la sortie de l’avion, revoir les amis et remarcher sur mes propres traces.

Pour autant, j’ai une peur terrible qui me tenaille, qui me prends aux tripes et me fait reculer: est-ce vraiment une bonne idée de revoir ces choses chéries dont le souvenir est un bien précieux et chéri ?

“Le voyage est une suite de disparitions irréparables”.
– Paul Nizan –

Cette image idyllique que je garde n’existe que grâce à mon expérience, mon vécu, mes souvenirs. Elle s’est façonnée, s’est modifiée et ne correspond peut-être pas, en fait, à ce que j’ai connu et expérimenté.

Or, suis-je sur, à 101%, de vouloir la briser ? Suis-je sur de vouloir confronter mes rêves à l’expérience du terrain, quitte à en repartir avec un vague goût de déjà vu, de déception ?

Du temps où je fus irlandais, je me rappelle être retourné plusieurs fois de suite dans la même ville d’année en année. A chaque fois, je retrouvais les mêmes choses et constatait, amer, que ceux que je considérais comme mes favoris s’étaient désintégrées et n’étaient vraiment plus les mêmes que celle que j’avais connu et embelli pendant mes absences.

Partir pour mieux revenir ?

L’analogie que j’aime utiliser pour parler des voyageurs est celle du Boomerang: on a beau le lancer, il finit toujours par revenir à son point de départ.

Dans le cadre d’un voyage au long cours ou d’une durée conséquente, il est inévitable de prononcer, un jour ou l’autre, ces fameux mots dont je parle en introduction.

Or promettre quelque chose dont la certitude n’est pas avérée, c’est mentir, autant à soi qu’aux autres. C’est vivre dans l’illusion, de quelque chose de vague, de peu balisé, d’infaisable.

Malgré tout et en dépit de cette peur, je sais qu’un jour, je retournais là-bas, de même que dans les x² autres lieux où j’ai prononcé ces mots. Je sais également qu’il y aura une part inévitable de déception, autant que de joie.

Les souvenirs sont ce qu’on en fait: immatériels, maudits ou bénis, ils ne sont surement, au final, qu’une autre invitation à repartir et dont chacun décide, un jour ou l’autre, du sort à leur réserver.

  1. A la seconde même ou je suis arrivée en Utah, je me suis dit que j’y reviendrai, une semaine n’allant pas être assez.
    Je l’ai fait, deux fois. Et bientôt une troisième. Je le savais, j’en avais envie, je l’ai fait, c’est aussi simple que ça, je savais que j’allais tenir cette promesse.
    Aucune déception. Les voyages ont tous été aussi différents les uns que les autres, les souvenirs se mêlent, s’emmêlent, il y en a de nouveaux, de plus anciens…

    Mais chaque nouvelle expérience de voyage est différente, peu importe que la destination soit la même. Dès lors, je ne vois pas pourquoi j’en serai déçue. Ce sont les instants et les expériences qui comptent, pas l’endroit !

    1. Je sais que je serais heureux/ravi/content de repartir. Mais cette histoire de ne pas retrouver ce que j’ai laissé, ce dont je me souviens…

      Argh, ça doit être ça de rester trop longtemps dans le Yukon 🙂

      1. Si tu pars avec en tête que tu trouveras autre chose en y retournant, ça ira tout de suite mieux ! C’est fou mais du coup je viens de me rendre compte que du coup, je ne cherche pas à retrouver ce que j’ai laissé, mais à voir comment elles ont évolué 😀

          1. Ah ça… 🙂
            Non mais sérieusement, c’est vrai que c’est difficile de retourner “en touriste” dans un endroit où on a déjà vécu, je pense que c’est le véritable enjeu. Il y a quelques mois, de retour à Montréal, il m’a fallu 5 jours pour ne plus déprimer. Et c’était une grosse déprime de la mort qui tue. Donc en gros, prévois un séjour de plus de 5 jours au Yukon :p

      2. Je suis d’accord avec Isa : il ne faut pas y repartir avec l’idée de retrouver un endroit perdu mais comme si tu allais découvrir un nouvel endroit. C’est peut-être ça le secret : te préparer des vacances au Yukon comme si tu allais visiter un coin que tu ne connais pas mais dont on t’a dit du bien.

        Si j’y retourne, ce sera comme ça, je pense. Je préparerai mon séjour comme je préparerais mon séjour n’importe où ailleurs.

  2. A partir du moment où tu pars d’un endroit, quand tu y reviens ce n’est forcément plus pareil: tu as changé, évolué, vécu d’autres trucs, l’endroit lui aussi a continué à vivre. Et c’est pas plus mal comme çà en fait. Chaque expérience est unique et la prochaine le sera aussi. Ne te focalise pas sur ce que tu y as vécu mais sur ce que tu pourras y vivre comme aventure.
    Allez prends ton billet !!!

  3. Un grand nostalgique… voilà tout le problème!!
    Ton article et ses commentaires m’interpelle. En y réfléchissant, je ne me suis jamais dit je reviendrais… (sauf dans ma ville de coeur Nantaise!) Et pourtant dieu sait que j’ai adoré bon nombre de mes petits périples.
    Pour moi, c’est l’art même de la découverte qui donne cette sensation de wahou!!
    Malheureusement je pense qu’on ne peux pas découvrir et vivre 2fois la même chose au même endroit, les personnes, le temps et l’état d’esprit étant inéxorablement changeant!
    Je crois que je ne me suis jamais posée la question du “come back” parce que je préfère que les choses restent magique et unique, plutôt que de risquer d’être déçue…

    Tout ce qui est rare est précieux….

    1. “Tout ce qui est rare et précieux”

      Ça me rappelle le titre d’un album de Manu Larcenet !

      Et je suis toujours à mi chemin entre la volonté du comeback et la peur de la déception…

  4. J’ai eu très peur de ça quand je suis retournée à Whitehorse après Vancouver. Comment j’allais recommencer une vie ailleurs que dans notre petite maison, pas tout à fait en touriste et pas pour très longtemps non plus. Et en une après midi j’avais un travail, une nouvelle coloc et des invits pour le week end!

    Cela dit je crois que si quand j’y retournerai ça sera avec des projets et des attentes touristiques. Pour voir des amis et faire la touriste. Il y a encore tellement de choses nouvelles que j’ai envie de voir et faire la-bas! Même si c’est vrai que payer pour faire de la motoneige, du traineau ou louer un canoë ou une voiture ça me fera certainement bizarre.

    1. Oh une Pascalounette !

      Ça faisait bigrement longtemps dis donc.

      Je confirme ton second paragraphe, dans toute sa splendeur.

      Quant au premier, je n’en sais rien vu que je traçais ma route vers Terre Neuve !

  5. J’hésite aussi beaucoup à retourner dans certains lieux. Surtout parce que mes souvenirs sont faits de rencontres et si j’y retourne ces gens ne seront plus là.
    Je vais être triste de partir de Londres. Pourtant, je sais que je reviendrai un jour. Cela ne sera jamais pareil, mais il faudra que je réapprivoise la ville, que je la vive différemment et que je me crée d’autres souvenirs…

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