L’éternité et un muffin (s’il vous plait)

Jean de la Fontaine, dans une sombre histoire de pot de lait, concluait par la bien sibylline phrase « adieux veaux, vaches, cochons, etc, etc ». Par un judicieux raccourci, autant littéraire qu’historique, il se trouve que je peux faire aujourd’hui la même constatation, bien que l’inventaire animalier ne soit pas le même

C’est en effet le cœur un tantinet serré que j’ai achevé ce matin mes trois semaines à Soggy Bottom Farm. Après avoir shooté une fois de plus dans les Guinea Owl, bercé les lapinous, nourri les cochons et flatté les chevaux, je suis donc reparti sur ma route, celle là dont je tente de percer les secrets depuis 6 mois et demi.

Comme un symbole, c’est également aujourd’hui que Terri, mon Hôte, a décidé de relâcher les colombes. J’y ai vu comme une certaine image de moi-même: après quelques temps de captivité consentie, ces blancs volatiles se sont envolés vers des cieux pas forcement de meilleurs hospices mais présentant l’avantage certain de la liberté.

Comment donc ne pas faire de parallèle entre ces frêles oiseaux se lançant dans l’aventure du grand air et moi-même (bien que je ne sois pas spécialement frêle ni doté d’un blanc ramage), Cedric errant sans savoir quand il est rentrera dans sa cage dorée où la nourriture tombe à foison chaque jour et où la vie est douce, sans surprises et remplie de certitudes (du point de la colombe bien sur) inébranlables.

Cela étant et en dépit de tous mes sentiments d’attache à Kaiteriteri, la bouffée d’air que j’ai inspiré une fois seul sur l’autoroute est l’une de celle que l’on ne peut oublier: elle contenait absolument tout: l’incertitude, l’appel du large, la folie douce et tous ces sentiments qui réapparaissent cycliquement, à chaque nouveau départ.

Je ne programmais pas de rester si longtemps à SBF mais ce fut probablement une heureuse décision. Non content d’avoir rencontré des gens hautement estimables, d’avoir appris à gérer une ferme pédagogique, d’avoir construit plein de trucs (et m’être rassuré sur mes compétences manuelles par là-même), j’ai également trouvé le temps de me ressourcer et de me retrouver avec moi-même, dans un intéressant face-à-face mental qui n’a fait, au final, que de faire apparaître de nouvelles interrogations tout en apportant – quand même ! – quelques réponses bien senties.

L’un des faits les plus importants n’est pas bien compliqué: je suis heureux, dans toute la plénitude du terme. Je m’épanouis dans l’imprévu, je me délecte du casse-gueule et j’en redemande chaque jour d’avantage.

Car il faut dire que je suis particulièrement doué pour me foutre de moi-même dans des fosses à purins d’une profondeur insoupçonnée: je me suis, par exemple, retrouvé cet après-midi à marcher le long de la Highway 60, en direction d’une auberge n’apparaissant sur aucun plan, dont aucun local ne connaissait l’existence et dont je n’avais qu’une très vague idée de l’emplacement réel. Toujours fut-il que je me suis baladé chargé comme un goret sur une dizaine de bornes avant d’être embarqué par une diligente qui a confirmé du coup que l’auberge existait et que, de surcroit, j’étais sur la bonne route, étant même quasiment arrivé.

Tout en restant sur ce registre, j’en profite pour préciser que cette auberge, l’Inlet, située pas loin du Cape Farewell (mon excursion de demain) est tout simplement la meilleure où j’ai résidé jusque maintenant: sise au milieu de nulle part, sans internet, sans rien aux alentours (sauf la mer): ce qu’il me faut présentement pour achever tranquillement mes errances intérieures.

Avant de conclure, une explication sur le titre.

J’ai touché du doigt cet après-midi une sensation pas forcément très éloignée du zen/nirvana, comme lorsque le monde entier ne semble vouloir que votre bonheur, que les sourires des jolies demoiselles vous sont destinés, que les voitures vous laisse la priorité sur un One lane bridge, que les moutons bêlent de joie à votre vue,que les vaches accourent vers vous avec de sonores beuglement…

Et qu’est ce qui a provoqué tout cela ?

Un muffin offert par la patronne du Lady Luck pour accompagner mon Long Black, sans aucune contrepartie qu’un sourire réciproque, un simple geste de bonté, une profession de foi dans le genre humain !