Le mythe du Roadtrip V1

Depuis une quarantaine d’années et la parution d’un livre fameux, il ne peut se faire de voyages sans roadtrip. Chacun se sent obligé, comme un sacerdoce, d’organiser ce fameux chapitre obligatoire, cette épopée, cette profession de foi.

Cependant, j’ai un sentiment mitigé par rapport à cette “obligation”, que j’explique donc de suite.

On the road again

Partir à l’étranger, pour un jour, une semaine ou pour un an, c’est déjà en en soi une aventure digne de tous les intérêts.

Or, Il semble de plus en plus courant de lire, d’entendre, d’écouter ou de voir des récits de voyageurs mettant en avant, non pas leur expérience globale mais bel et bien ce fameux roadtrip, comme si icelui était le point d’orgue de leur séjour.

J’ai de même l’occasion de discuter relativement souvent avec les membres de la grande confrérie de la bourlingue et même eux, pourtant vétérans de la routardise, commencent à tenir ce malsain discours:

(Exemple de dialogue)

– Je viens de passer un an en Nouvelle Zélande, en WHV.
– Ah ouais, cool, vraiment, et t’as fait quoi, t’as bourlingué, vu du pays ?
– Non, je suis resté pépére à Auckland avec ma copine, pas envie de trop me galérer.
– Putain mec, comment t’as gâché… T’as même pas fait un petit roadtrip ?

Voila, le constat est posé, clairement: on se doit maintenant de faire un roadtrip pour ne pas paraitre déconsidéré, pour ne pas perdre la face, pour ne pas se sentir humilié devant les autres.

Boarf

Le voyage ne peut être sédentaire, organisé, posé, tranquille, cela devenant terriblement incorrect. Le tout un chacun veut de l’extrême, du glauque, du camping sauvage et des steaks de caribous, de l’errance et de la déshydratation (mais sans dégâts surtout). La populace réclame du rêve, des rencontres avec les papous, des bagarres avec des touaregs, des crachats de lamas et des sabots de chameau dans les couilles. Le peuple requiert des dramas, de l’exaltant, de l’amour et de l’humour, des gagnants et peu de perdants.

Toute notre génération a été éduqué (plus ou moins) dans le fameux mythe des babas soixante-huitard, barbus et hippies et partant en stop à Katmandou depuis la Porte d’Orléans, s’arrêtant en chemin vers Goa et Istanbul et revenant élever des chèvres dans le Larzac (vrai morceau de rêve inside).

De là est né cette fameuse envie de faire “comme les autres” et de faire donc nous aussi notre petit roadtrip, bien plus modeste mais ô combien jouissif.

Pub catholique (oui oui)

Pourquoi donc ne pas accepter, comme je l’ai dit plus haut, le simple fait que partir à l’étranger est déjà en soi une aventure ?

Parce que cela ne vend pas du rêve, parce que cela est trop normal, parce que, tout simplement, voyager est devenu tellement banal que même maintenant, une virée à 2500 bornes est juste une promenade ou un parcours de santé.

La conclusion de tout cela sera en fait une interrogation bien sibylline:

C’est quoi, au fait, un roadtrip ?

  1. Personnellement, ce qui me gêne dans “je suis resté pépére à Auckland avec ma copine” (ça marche aussi — voire encore plus — avec Montréal), c’est pas tant le fait de ne pas faire de “road-trip”, c’est plutôt le fait de partir à l’étranger un an, sans prendre la peine d’explorer le pays. Je peux comprendre que certains ne soient pas baroudeurs, mais justement: un changement tel qu’un gap year à l’étranger n’est-il pas l’occasion rêvée pour sortir de sa zone de confort et partir un peu à l’aventure?

    1. Tu touches un point intéressant et je suis pas mal d’accord avec toi mais…

      Si on considère que partir à l’étranger, disons dans le cadre d’un PVT/WHV, est déjà en soi une aventure et une occasion de sortir de sa zone de confort (belle expression d’ailleurs): remise en cause culturelle, professionnelle, nouveau réseau à créer, nouvelle langue… (etc etc), pourquoi donc devoir ajouter par-dessus cette obligation de voyage ?

      Je me rappelle un pote à Wellington qui a passé un an entier là-bas sans en sortir. Il avait précédemment vécu dans le Manitoba et à ma question “Mais tu comptes pas bouger ?” il m’a répondu “Pourquoi ? Je suis bien ici, j’ai ma petite vie, mon boulot, ma baraque et c’est ça que je suis venu chercher en Nouvelle Zélande”.

      C’est une autre conception du voyage !

      1. Je fais la différence entre ceux qui quittent la France pour s’installer à l’étranger pour du long ou moyen terme (ie. plusieurs années), et ceux qui choisissent de faire une coupure, le plus souvent à l’aide d’un PVT. Dans ce dernier cas, je trouve dommage de ne pas voyager dans le pays visité, a fortiori quand celui-ci est étendu comme le Canada, les USA, ou l’Australie et la NZ.
        Si avec la NZ, la différence culturelle et linguistique est sans doute plus forte (et peut constituer, à elle seule, une aventure), avec Montréal et le Québec en particulier, c’est quand même moins le cas.
        Franchement, quand je vois le nombre de PVTistes qui partent chaque année à Montréal avec pour principale intention de transposer leur vie parisienne dans la métropole québécoise et de trouver une coloc sur le Plateau, j’ai du mal à ne pas penser à ceux qui n’ont pas eu de visa et qui en auraient sans doute mieux profité.
        Pour le PVT Canada en particulier, n’oublions pas qu’il est destiné “aux jeunes Français souhaitant effectuer un séjour de découverte touristique et culturelle, tout en étant autorisés à travailler pour compléter leurs ressources financières”.
        Clairement, le fait d’aller travailler dans un pays étranger ne doit pas être la principale raison de partir en PVT, à mon humble avis.

        1. Je rajoute une couche à mon message précédent qui a du croiser le tiens, mais considérer que la découverte touristique et culturelle ne se fait que par le voyage physique me paraît extrêmement restrictif tout comme juger qui a assez profité ou pas de son PVT me paraît une attitude assez péremptoire.

  2. Alors là, je me dois d’intervenir.

    Déjà, tu t’insurges contre cette pseudo obligation de road trip mais tu as l’air de sous entendre qu’il y a tout de même une certaine obligation d’aventure (puisque ton argument au fait qu’on n’est pas obligé de bouger est que le simple fait de partir est une aventure, donc c’est acceptable). Et pourquoi donc ?! Un voyage ce n’est pas forcément une aventure et c’est tout à fait honorable si ça n’en est pas une !

    Ensuite, je réagis à l’idée qu’on n’aurait pas profité de son voyage si on n’avait pas tout exploré (ou en tout cas exploré plus qu’une ville) : ça me paraît tout à fait restrictif comme idée. J’ai passé deux mois au Kenya il y a quelques années. Je suis à peine sortie de Nairobi. Et je n’ai absolument aucun regret (et pourtant je suis du genre baroudeuse). La raison est simple : si j’avais baroudé, je n’aurai pas pu m’immerger dans la culture locale, je n’aurai pas vécu la vie locale et au final je n’aurai fait que voir et pas vivre la vie kényane. Alors oui, bien sûr, du coup je n’ai vu qu’une petite partie du pays, mais la découverte n’est pas que géographique, elle est bien souvent culturelle et une petite vie pépère bien rangée dans un pays étranger n’est ni une aventure ni une découverte géographique intense mais ça enrichit énormément, tout simplement de façon différente. Si j’avais baroudé je n’aurai pas eu le temps de saisirles rapports sociaux de la même façon, je n’aurais pas eu le temps de m’intéresser à la politique kenyanne, j’aurai fait des rencontre éphémères au lieu de prendre le temps de connaître les gens, etc.

    A mon sens cela n’a aucun sens de placer sur une échelle ce qui serait gâcher ou pas gâcher un voyage.
    Si on considère que la seule façon de ne pas gâcher un voyage c’est de “prendre la peine” (comme si ceux qui choisissent de ne pas le faire ne sont que des feignasses) de parcourir le territoire, on peut alors considérer que toute personne qui s’installe quelque part ne prend pas la peine non plus puisque le voyage n’a pas besoin d’être bien lointain pour apporter de la découverte. Qui peut se targuer de connaître tous les quartiers de sa ville ? toute sa région ? son pays ?

    Plutôt que d’en finir avec le mythe du roadtrip, je pense qu’il faut en finir avec le mythe du voyage et de l’aventure dans son ensemble.

    1. Beaucoup de choses intéressantes qui méritent plus qu’un simple commentaire comme réponse.

      Je reviens juste rapidement sur le premier passage de ta réponse:

      “Déjà, tu t’insurges contre cette pseudo obligation de road trip mais tu as l’air de sous entendre qu’il y a tout de même une certaine obligation d’aventure (puisque ton argument au fait qu’on n’est pas obligé de bouger est que le simple fait de partir est une aventure, donc c’est acceptable). Et pourquoi donc ?! Un voyage ce n’est pas forcément une aventure et c’est tout à fait honorable si ça n’en est pas une !

      Il n’y pas d’obligation d’aventure en effet mais je pense que voyage et aventure sont intiment liés à la base. Il faudrait pour éclaircir expliquer ça ce que j’entends clairement par aventure (aller acheter du pain chez un dépanneur québécois peut se voir comme une aventure des fois).

      J’y reviendrais plus longuement dans la synthèse !

  3. J’attends donc avec impatience.

    Mais dans tout ça (le post initial, les commentaires) je perçois tout de même une volonté normative qui me semble aller à l’encontre de l’ouverture voulue et qui me dérange fondamentalement.
    (et je pense que le point Godwin n’est pas loin si on y met un peu du notre)

    1. Comme d’habitude, j’ai glissé entre ce qui était prévu et ce qui a été écrit, en passant d’un essai sur “Pourquoi un voyage peut-être cool sans un roadtrip” ou encore “Non, le roadtrip n’est pas forcément une obligation pour bien vivre un voyage”.

      Par contre, ça ouvre une hypothèse d’écriture intéressante: faire maintenant l’apologie dudit RT.

      Je vais voir ce que je vais faire de tout ça.

      Par contre, point de godwin ici, nous sommes entre gens de bonne compagnie !

      PS: Je viens de me souvenir que j’avais écrit ça tantôt https://fromyukon.fr/je-voyage-donc-je-suis/, vais peut-être tout remixer moi.

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