Le (22ème) jour d’après.

22 jours que je travaille au Xtra Nourritures. L’occasion donc pour moi de parler un peu plus profondement de ceux qui sont ma raison de vivre, ceux qui me font gagner aujourd’hui mon pain de ce jour… Non pas les produits laitiers mais bel et bien les clients.

Je commence à en connaitre quelques uns et de même à être connu par certains d’entres eux… Encore heureux après trois semaines ! Bref, voici quelques portraits sur le vif pris au cours de ma journée.

Le mardi matin est la matinée Age d’Or. Les résidents du Village Olympique (reconverti en foyer pour personnes très très âgées…) descendent en groupe faire leurs courses. Cela donne dans le magasin le plus joyeux bordel de la création. Sans être méchant, on croirait que les réssucités du Jugement Dernier sont de sortie. C’est un drôle de cortège qui erre dans les rayons alimentaires, à la recherche de l’aliment contenant plus de calcium que les autres, du yaourt plus probiotique que le voisin… Et ça dérange mes (!) rayons, ça désorganise mon lait, mes yaourts… En fait, je suis très mauvaise langue. Parce que je les aime bien. Ils sourient tout le temps et ne peuvent pas s’empêcher de taper la discut’ à tout bout de champ.

Par contre, il est hors de question de vouloir faire le moindre rangement pendant le laps horaire. Trop dangeureux, on risquerait d’heurter un déambulateur au croisement surgelés/fromage…

Mr Beaulieu. C’est le premier client à m’avoir adressé la parole. Peut-être soixante ans, soixante-dix. Alerte et énergique. Il parle à tout le monde et me raconte sa vie et sa jeunesse dans les steppes yukonnaises. C’est « Le patriarche ». Sa famille est venue de France il y a maintenant  bien longtemps et s’est installée dans le Yukon. Il a ajouté avec tristesse qu’ils n’étaient plus que trois ou quatre encore vivants dans la région… On cause tantôt français tantôt anglais. C’est mon petit plaisir quotidien.

Les perdus. Et Dieu sait qu’il y en a. Ils viennent me trouver pour savoir si par hasard je ne saurais pas où se trouve le Lait 2% Béatrice 2 litres. Et comme pas hasard, il se trouve que la dernière caisse se trouve à chaque fois tout en bas de ma réserve, sous trente autres caisses… Mais comme je me fais un plaisir d’aider mon prochain… C’est la même histoire que celle qui vient deux fois par an (elle est viendue cet après midi d’ailleurs…) et qui s’étonne que les rayons ne soient plus exactement les mêmes.

Arf. Désolé, non, on n’a plus de yaourt au soja…

Les marrants. Au moins une fois par jour, j’ai droit au p’tit comique qui vient me raconter sa blague. Jamais la même. Et toujours à propos des fruits. La dernière fois, il m’a parlé de carottes en montrant un mec à côté. J’ai pas tout compris mais j’ai rigolé quand même. Faut pas vexer le client. La dernière fois que je me suis pas esclaffé, le mec est parti en bougonnant…

Le pervers. Cool, sympa, amusant, jusqu’à ce qu’il te pousse du coude en gueulant « What a fuckable ass ! » quand une cliente se penche pour choper une bouteille de lait. A deux mètres de nous. Et à deux mètres du patron qui soupire.

Les maniaques. Espèce dangeureuse. Ils cherchent à tout prix le produit spécial au milieu de cinquante trucs identiques. Je sais pas quel est le but du jeu. En théorie, le maniaque ne prend jamais l’article situé au premier rang. Trop dangeureux, on aurait pu l’enduire de poison, uriner dessus ou le vider de son contenu. Non. Le maniaque prend toujours le produit situé tout au fond, hors de portée du commun des mortels. Et dont la date de péremption remonte à une époque où l’Homme grognait dans sa caverne.

Et pour finir… Le client parfait. C’est celui qui dit bonjour, qui demande gentiment où se trouve tel article, s’il serait possible éventuellement de s’enquérir pour lui de la possibilité existante de l’acquérir. Si oui, c’est merveilleux. Si non, c’est pas grave mais merci beaucoup quand même. Et ce client est encore plus merveilleux quand il est de sexe féminin, âgé entre 20 et 30 ans et avec le plus beau sourire de tout le Yukon.

Comme la demoiselle de cet après-midi… qui m’a sorti du marasme de mon parmesan rapé pour savoir où étaient les bouteilles de Sour Cream 2%. Et pour qui j’ai déplacé trois palettes en deux minutes pour choper la dernière caisse. Et qui m’a remercié de la plus aimable et délicate des façons

« I’ll be back ! »