Lettre d’Aran (Inis Mean)

Pour ce nouveau volume des aventures irlandaises, je vous propose de partir avec moi du côté d’un petit archipel qui me faisait rêver depuis quelques (longues) années et ma découverte de la verte Erin. A l’ouest de Galway, ce sont trois iles où le gaélique règne, où les moutons sont plus nombreux que les habitants et où le temps semble s’être délicieusement arrêté. Pendant quatre jours, nous avons savouré (avec #DeT) le plaisir de la solitude, de la rencontre humaine et de la découverte pure, sans stress, strass ou paillettes. Un moment d’authenticité dans un monde de consommation, un moment de partage réel dans une bulle virtuelle: soyez les bienvenus sur les Iles d’Aran (et surtout sur Inis Meáin !).

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Lettre d’Aran

Ma très chère Irlande,

Comment vas-tu ? Cela fait quelques jours que j’essaie de t’écrire cette lettre mais je dois t’avouer que, jusqu’à présent, je n’avais vraiment pas le temps de me consacrer à toi. J’espère que tu me pardonneras le retard conséquent et que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Au départ, je voulais présenter (à mes lecteurs) les trois iles qui composent l’archipel d’Aran, ces trois petites iles qui se trouvent au large de Galway, à une petite demie-heure (humide)en bateau. Cependant, à force de réfléchir, je me rends compte que je préfère leur parler d’une seule des trois, de la plus petite, de la moins fréquentée, de la plus gaélique: Inis Meáin.

Inis Meain

En effet, si cela faisait longtemps, très longtemps, que je rêvais de découvrir ce coin. La première fois que j’ai voulu y aller, ma carte bancaire s’est faite bouffer par un distributeur automatique (je t’ai déjà raconté ça dans mon article sur le Connemara !) et j’avais du rester à quai. Ce coup-ci, hors de question de rater ça, surtout que j’avais promis à #DeT (l’unique, la douce, la belle, la tendre et désirée) “de l’embarquer avec moi dans un coin de paradis”. Autant te dire que si je me foirais, je m’apprêtais à passer de sales moments !

Déjà, au départ, on a eu une belle surprise. Comme nous partions de Galway, il a bien fallu acheter des billets de bus pour prendre la navette. Or, il est impossible d’acheter ces billets à bord dudit bus et il ne semble n’y avoir qu’un seul boudiou de guichet qui en vende dans tout le secteur. Etant donné la file d’attente qui campait devant nous, je m’apprêtais déjà à activer les plans B, C, D et E en catastrophe quand un employé est venu nous dire que, si nous allions à tel endroit, nous trouverions les même billets, sans file ni attente !

Prendre le bus depuis Galway jusque l’embarcadère de Ros a’ Mhíl est l’histoire d’une petite heure (environ). Le prix est de 7€ par personne (aller-retour) et il est fortement recommandé d’acheter les billets à l’avance aux adresses indiquées sur la page officielle des Aran Islands Ferries, la seule compagnie qui dessert l’archipel depuis ce coin-là. Il y a aussi des départs depuis Doolin par une autre compagnie (justement) nommée Doolin Ferry.

Une fois sauvés et embarqués dans le bus, c’est tranquillement que nous partons vers notre bateau, au prix cependant d’un petit rush pour respecter l’horaire. La traversée se fait sans souci, de même que nos deux journées passées sur Inis Mór, la plus grande et la plus fréquentée des trois soeurs. Comme je pense t’en parler ailleurs bientôt, je ne peux que te conseiller d’aller voir du côté de chez Vio Vadrouille pour en savoir plus, elle vient d’écrire un chouette petit article là-dessus. De mon côté, je te raconterai plus tard mes histoires de vélo, de randonnée et de forts (parce que ça vaut quand même le détour !). Ce qu’il faut que tu saches, par contre, c’est que c’est un bordel absolu pour comprendre le système de liaison entre les îles et que les locaux, eux-mêmes sont un petit peu perdus. Cependant, après de longues et fructueuses discussions avec la dame de l’OT, nous avons fini par comprendre que nous pouvions aller à Inis Mean depuis Inis Mor et même en repartir pour Galway sans avoir à racheter un billet supplémentaire !

Se balader dans l’archipel est un peu compliqué. Sachez cependant qu’il en coûte 10€ par personne pour transiter depuis Inis Mor jusque Inis Mean, que ce billet peut être acheté à bord directement mais que cela n’est pas une obligation. Cependant, il ne vous sera délivré que si le bateau n’est pas rempli. Charge à vous de savoir si vous tentez votre chance (ou non !). La traversée dure une bonne vingtaine de minutes et ne présente aucun caractère particulier. Enfin, il est possible de rejoindre Galway depuis les trois  iles: consultez bien les horaires pour ne pas vous faire avoir !

L’arrivée au port d’Inis Mean a été quelque chose de spécial. En effet, nous n’avons été que deux à quitter le navire et j’ai senti, dans notre dos, quelques regards surpris. J’avais bien noté qu’il n’y a pas grand monde qui y vit et que les touristes ont tendance à l’éviter. Cependant, ne voir personne descendre et se retrouver seuls sur un quai à 5 heures de l’après-midi a quand même constitué une (petite) surprise. D’ailleurs, tu sais, cette surprise s’est encore amplifiée quand nous avons commencé à nous diriger vers la “ville” et que nous n’avons croisé quasiment personne pendant l’heure de notre trajet (à part une voiture, un âne et trois gamins). La question que nous nous sommes alors posés fut toute simple “Mais où sont-ils tous ?”

Inis Meáin ne compte que 187 habitants à l’année et l’on y trouve un supermarché-bureau de poste-banque, une école primaire, une bibliothèque, un pub, un Bed and Breakfast, une église, un salon de thé/salle d’expo, deux forts… et c’est tout ! Comme il n’y a pas d’ATM (de distributeur automatique), pensez impérativement à avoir du cash avec vous, sous peine d’être dans une galère sans nom et de ne rien pouvoir acheter pendant votre séjour. C”est également une ile réputée pour la pratique (et la sauvegarde) de la langue irlandaise (le gaélique) et où l’anglais est quasiment interdit de séjour.

Supermarché et banque

Panneau en gaélique

Tandis que nous marchions dans les rues désertes du village, je me suis tout à coup interrogé: les habitants seraient-ils déjà tous couchés ? Ont-ils été emportés par une épidémie inconnue ? Mangent-ils les touristes dans un ragoût à la Guinness ? Sont-ils en train de réviser leurs cours de gaélique ? Le regard dubitatif de ma chère et tendre ne faisait rien pour répondre à mes questions, d’autant plus que je comptais sur ma bonne étoile pour nous trouver un hébergement quelque part, fut-ce dans un jardin ou dans un fort.

La route

Au bout d’une heure, la lumière (et la réponse) est enfin apparue, sous la forme d’une longue bâtisse d’où s’échappaient autant de cris joyeux que d’êtres humains: LE pub de l’ile, le seul et l’unique, où se trouvait rassemblée TOUTE la population locale, de 5 à 99 ans. Je ne pensais pas possible que cela pusse exister, qu’une ile entière puisse se retrouver dans un même lieu mais, pour l’avoir vu de mes yeux propres (et pour l’avoir expérimenté aussi), je te promets, ô mon Irlande: c’est possible (et c’est génial).

Le pub de l'ile

Du coup, comme tu peux te le penser, tous nos soucis ont disparu aussi qu’une pinte de Smithwicks (ou qu’une tablette de chocolat, c’est selon). On a posé le fatras, on est entrés dans le lieu et on a commandé fissa-fissa deux bonnes bières locales, aussi fraiches que rousses (et rafraichissantes). Maintenant que LE mystère était résolu, une seconde question devait trouver sa réponse: “Où dormir ce soir ?”. 

Je sais bien que chez toi, ô ma bien aimé Erin, il suffit généralement de poser une simple question pour se retrouver avec XX² réponses aussi aidantes que contradictoires. Cependant, et pour le coup, l’unanimité s’est vite faite autour d’un spot où camper: la plage. Bien que le camping sauvage soit interdit, les rictus ricaneurs de mes alcoolytes de voisins ont vite dissipé les derniers doutes que je pouvais avoir et c’est avec la promesse de revenir que nous sommes partis monter le monstre (et lâcher nos sacs aussi).

Maison

Dormir

Ce qui est beau, sur une ile aussi petite qu’Inis Meáin, c’est qu’il est virtuellement impossible de se perdre. Aller tout droit vers la mer, contourner le second port par la gauche et longer la cimetière: dix minutes sur les mains, en descente et en douceur. Le temps de trouver un spot pas trop moche (et abrité), de monter les arceaux, de planter les sardines, de bouffer et l’histoire était pliée, direction le pub pour une petite soirée tranquille, comme j’aime à en passer chez toi.

Se loger sur Inis Meáin est soit très simple soit très compliqué. Si vous êtes un partisan du camping, allez à la plage ou demander à des gens si vous pouvez squatter leur jardin/champ, le taux de réussite est de 99.99%. Si vous êtes un partisans de l’hôtel et/ou du Bed and Breakfast, pensez impérativement à réserver une chambre dans l’unique truc du coin. Au pire, si vous avez confiance dans l’être humain, que vous n’avez pas d’argent et pas de tente, allez-y au culot et frappez aux portes: on ne sait jamais ce que le Destin peut vous offrir…

Il y a une chose que tu possèdes, Irlande et qui faisait rêver (ma) DeT: ta musique qui prend aux tripes et qui fait vibrer les âmes. Ce soir-là, pour le coup, c’est plus qu’un concert auquel nous avons eu droit car toute la nuit, de 20 heures à minuit (et plus tard encore), le pub a résonné de chansons typiques, de bœufs, de flutes, de tambourins et de guitares. Je ne sais toujours pas ce qui s’est passé à cette occasion, dans ce pub, mais je suis prêt à parier que la Bonne Humeur avait donné rendez-vous à la Joie, l’Allégresse pour communier avec la Fête, la Teuf et le Délire. Des p’tits gnômes aux vieilles mamies, tout le monde chantait, dansait, riait et buvait encore et encore, entonnant des airs si beaux qu’ils fendraient la pierre et si entrainants qu’ils feraient dans des blogueurs voyages en VP.

Instrument démoniaque

Assis dans notre coin, à une place qui nous a semblé spécialement gardée pour nous par les locaux (sans blague !), nous avons touché du doigt ton être immatériel. Nous avons communié avec toi dans ce que tu as de plus beau, de plus doux, de plus génial: ton patrimoine immatériel, celui qui te vaut d’être connue et reconnue aux quatre coins de la planète et qui a fait ta renommée musicale. D’ailleurs, et je crois que je peux te le dire, à toi: j’ai passé (quasiment) ma plus belle soirée dans un pub depuis que j’ai posé mon pied pour la première fois sur ton sol, en 2003. Hélas, comme toutes les belles et bonnes choses ont une fin dans ce bas monde, il a bien fallu que nous quittions ce paradis enivré pour regagner nos pénates, sous un ciel étoilé d’une beauté absolue, que je n’osais corrompre en allumant ma frontale de lampe. Notre nuit fut douce et calme, sans histoires ni tracas !

Le lendemain, sachant que nous devions partir par le ferry de 16.30, nous avons décidé d’explorer l’île sous toutes ses coutures et de découvrir les trésors cachés qu’elle ne devait pas manquer de posséder, comme toute bonne ile irlandaise qui se respecte ! De fait, nous ne fûmes guère déçus par ce que nous trouvâmes au gré de nos errances. Ici et là, deux forts (Dún Chonchúir et Dún Fearbhaí, datant respectivement de l’époque préchrétienne et du 4ième siècle après JC) offrant de belles vues sur l’ile. Par là-bas, c‘est Teach Synge, la maison où le fameux  John Millington Synge passa chaque été entre 1898 et 1902. Enfin, tout au sud, c’est une randonnée qui fait le tour complet de l’ile, offrant de belles vues sur les grandes sœurs…

Comme c’est un peu dur de toute bien te raconter, je te propose de regarder les photos que je te fais suivre dans cette lettre: tu devrais pouvoir y découvrir ce dont je te parle et peut-être même reconnaitre certains endroits ?

Un fort

Une randonnée

Une vue

Faire une croix

Le paysage d'Inis Mean

Notre temps étant presque arrivé à son terme, c’est le cœur gros et l’âme (presque déjà) nostalgique que nous avons parcouru pour la dernière fois les petits sentiers déserts où l’on croise plus de vaches que d’humains, où les aéroports côtoient les terrains de football gaélique et où les mures poussent, sauvages et intouchées (enfin jusqu’à ce que je passe par là, bien entendu !).

Terrain de football gaélique

Enfin, nous sommes arrivés au bout de notre chemin. Là, j’ai sorti une dernière fois mon appareil photo, pour capturer l’essence d’une ile, la fugacité du temps qui passe et, simplement, l’attente de ce navire qui nous ramenait vers le continent (et donc vers toi !). Une seule chose était sure, à ce moment bien précis: que ce soit dans un an ou dans un siècle: je reviendrai !

Un couple de promeneurs à Inis Mean