Éloge de la normalité

Éloge de la normalité
[Pensées aveyronnaises]

Eloge de la normalité

C’est un petit village comme il doit en exister des dizaines de milliers en France. Des ruelles tranquilles. Quelques commerces ouverts à des heures inhabituelles. Un grand square avec des jeux entretenus de temps à autres. Une cabine téléphonique et un office de tourisme. Le temps s’y écoule doucement et la folie trépidante des mégalopoles ne semble pas pouvoir venir perturber un rythme que l’on pressent ancestral. Depuis hier, et jusque demain, c’est ici que nous avons posé nos valises avec ma petite famille. C’est ici que nous re-goûtons aux plaisirs oubliés de vraies vacances. C’est ici que nous nous réconcilions avec ces valeurs essaimées sur le chemin de nos vies : tranquillité, détente, repos. Nous osons prendre le temps, repousser, discuter. Nous osons savourer, déguster, manger, nous délecter… sans surveiller les minutes qui passent et les heures qui défilent. Pourquoi s’inquiéter du temps qui passe quand on sait que celui n’a aucune emprise sur nos existences ? Nous avons ouvert une délicieuse parenthèse septentrionale, au cœur de ce pays d’Aveyron si brut et si généreux à la fois.

Cabine aveyronnaise

En ce lieu reculé, où aucun symbole ne manque, j’ai l’impression d’être séparé par quelques galaxies de ma vie réelle. Rien ne vient dicter ce que je dois faire, la façon dont je dois le faire ni pour qui je dois le faire. Je retrouve, émerveillé, la sensation de la normalité la plus absolue, celle-là même que j’aimais pourfendre, en mes jeunes années, quand je crachais à pleine bouche sur un certain modèle social haïssable. Pourtant, qu’il est bon de s’y plonger. Qu’il est bon de retrouver des choses simples, vraies, pas superficielles et simplement authentiques car naturelles. Le sourire d’un serveur, les éclats de rire des enfants, la poigne du bouchée, le silence nocturne minéral des rues où le seul son naît de mes chaussures raclant les pavés et du déclic de mon appareil photo.

Une herse dans la nuit

A une époque où nous courrons vers l’exposition, vers une éphémère célébrité, où tout tend vers le TOUJOURS PLUS (loin, cher, exotique, exceptionnel), il est bon de tourner le dos à ce chemin et d’emprunter la voie la plus connue, la plus générale, la plus fréquentée. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille se fondre dans la masse et endosser l’habit générique. Il est possible de tracer, au sein de cette autoroute humaine, ses propres raccourcis, d’emprunter ses propres déviations et de créer ses propres lieux de repos: j’en suis l’exemple même.

La maison du Bas

Aujourd’hui, pendant que j’écris ce papier, avachi dans un transat avec mes lunettes sur le dos et la délicieuse sensation de la chaleur solaire sur mes épaules, je soupire d’aise. Je vois mon fils croquer la vie à pleine dents, assis sur les genoux de ma douce compagne. Je la vois, elle, rayonnante, épanouie, heureuse. Je vois, plus loin, Pitchoune s’inventer mille et une histoires dans ce jardin où nous profitons de la Vie. Au loin, les oiseaux chantent et les lézards paressent. Les volutes enfumées d’une cigarette viennent chatouiller mes narines en même que le délicieux fumet d’un rôti cuisant dans le four d’à côté. Je fige ces moments précieux – ô combien précieux !- en moi, par peur de les oublier.

Le monument aux morts

Puisque nous n’avons rien prévu, nous n’avons pas d’attentes. Puisque nous sommes libres,nous faisons ce que bon nous semble. Nous sommes la norme, nous sommes normaux, nous sommes la normalité. Loin d’être une tare, c’est un éloge. L’éloge d’un savoir-vivre dissipé, l’éloge d’une majorité silencieuse qui n’a que faire des remous lointains du 2,0. Nous sommes des vacanciers, touristes, citadins, sans avoir conscience de l’être. Nous sommes la simplicité d’un voyage entre Toulouse et l’Aveyron, d’un arrêt à Montauban, d’un repas sur le pouce entre amis, de retrouvailles impromptues et de chaudes embrassades. Nous sommes, vous êtes, je suis… heureux.

Villeneuve d’Aveyron – Le 29 avril 2016