Les colonies ne sont pas des vacances

« Voyager gratuitement tout en étant payé ». « Une façon simple et efficace de découvrir le monde sans frais ni difficultés ». « Un plan en or, accessible à tout le monde, sans diplômes, rapidement ». Depuis toujours, je vois ce genre d’article passer sur les blogs, sites et réseaux sociaux. Depuis toujours, l’une des « recettes miracle » conseillée. Depuis toujours, un plan casse-gueule absolu qui peut très, très vite tourner à la catastrophe définitive et marquer une vie entière : l’animation. Pourquoi être animateur et/ou directeur n’est pas forcement un bon plan et pourquoi vous ne partirez pas en vacance en encadrant un séjour : c’est le sujet du jour !

Les colonies ne sont pas des vacances

Dans le meilleur des mondes

Québec. New-York. San Francisco. Les Caraïbes. Cuba. L’Islande. La Sicile. L’Estonie, la Finlande et la Russie. Londres. Barcelone. La Belgique. L’Allemagne. L’Irlande. La liste des pays où je suis allé en tant que directeur, coordinateur ou animateur est impressionnante. Entre 2003 et 2008, je travaillais à plein temps dans l’animation. J’estime avoir encadré entre 20 et 30 séjours chaque année, que ce soit dans le cadre de classes de découverte, de mini-séjours ou encore de colonie de vacances, pour des durées allant de 3 jours à 3 semaines. A chaque fois, j’étais payé, tous mes frais étaient pris en charge et j’ai ainsi pu découvrir le monde. Pour ce faire, j’ai passé – et obtenu – deux petits diplômes : le BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), qui permet d’encadrer des séjours et le BAFD (Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur) qui permet de diriger les même séjours. Rien de plus. Présentés ainsi, les faits laissent songeurs. En passant simplement deux diplômes (coutant quand même environ 2000€ le package complet), il est donc possible de voyager et d’être payé en même temps ?

Oui.

Dans le monde réel

Sauf que, dans la réalité concrète du terrain, celui-là même où vous évoluerez, les choses ne se passent pas du tout ainsi. C’est le pouvoir extraordinaire des mots qui me permet de présenter le sujet d’une façon aussi idyllique. Ce qu’il faut savoir, avant tout, c’est que vous ne partirez jamais en séjour à l’étranger sans aucune expérience derrière vous. Si j’ai pu diriger et/ou prendre part à tous les voyages listés en début d’article, c’est parce que mon CV parlait pour moi et que j’avais déjà eu l’occasion de me tester sur le terrain. Pouvez-vous sérieusement imaginer qu’une association/entreprise sérieuse confierait la vie d’un groupe de vingt adolescents à une personne au passé vierge ?

Ceux qui vous vendent le contraire ne sont que des menteurs. Il est aussi dangereux que casse-gueule, à tous les niveaux (physique, affectif, législatif et réglementaire) de partir encadrer un séjour si vous n’avez jamais travaillé avec des enfants/adolescents auparavant dans votre vie. Si on vous propose ouvertement et formellement cela, interrogez-vous et cherchez l’envers du décor, le revers de la médaille pour savoir ce qui se cache derrière une si subite générosité à votre égard : quelles sont seront les conditions de travail ? Serez-vous seul(e) ? Encadré(e) ? Quelles sont vos tâches précisément attendues ? Votre amplitude horaire ? Qui est responsable sur le terrain ? L’Association/entreprise est-elle représentée par quelqu’un sur les lieux ? Depuis quand est-elle implantée ?

Je ne dis pas qu’il ne faille pas recruter des débutants. Je dis qu’il faut le faire avec discernement et avec des garanties d’encadrement, ce qui constitue la différence entre former et envoyer au casse-pipe.

Une question d’argent

Saviez-vous d’autre part, que ce n’est surement pas avec l’animation que vous allez devenir riche. En effet, le salaire moyen d’un animateur navigue entre 20 et 30€ par jour, basé sur un forfait de 2 X Smic horaire/jour, cela que vous bossiez dix minutes ou vingt et une heure. Ainsi, pour trois semaines de séjour itinérant en Islande, j’ai émargé, une fois toutes les primes confondues, à environ 650€ de salaire net. Certes, tout est pris en compte de A jusqu’à Z (le vol, le logement, la nourriture, les activités). Mais si vous faites des colos pour mettre de l’argent de côté, ce n’est pas forcement un plan en  or.

Encore plus fort : je me rappelle la fois où une collègue m’a proposé d’encadrer un séjour en Thaïlande (avec hôtels 4* et tout le tralala) sans être payé : la boite faisait signer des contrats « au pair » à ses animateurs, estimant que la destination était trop lointaine pour justifier un salaire. Pire que tout : cela ne constitue pas une pratique marginale. Certaines grosses entreprises de l’animation en use et abuse, avec la bénédiction de Jeunesse et Sport, qui ne trouve mot à redire.

L’illusion du « Rien à faire »

Certains mettent en avant, sans scrupules et probablement sans trop savoir de quoi ils parlent, les séjours linguistiques où les jeunes dorment en famille avec des cours d’anglais le matin et des activités sportives l’après-midi et durant lesquels vous n’êtes sensés n’avoir « qu’un simple rôle d’encadrant ». Pour en avoir encadré justement plus d’une quinzaine, je me permets de vous le dire : DANGER, GRAND DANGER ! Encore une fois, la réalité du terrain est à des années-lumière de cela et vous allez devoir être bien plus présent que vous ne le pensez.

En effet, pensez-vous vraiment que vous allez être payé à ne rien faire ? Quid de la grille d’activité ? Des rapports aux parents ? De l’organisation des soirées ? Des relations avec les jeunes, dans le groupe, entre le groupe et les locaux ? De la sécurité affective, morale, psychologique et physique des participants ?

Tout ça (et bien plus encore) sont des notions que vous devez connaitre, que vous devez savoir gérer – ou appréhender – avec un véritable vécu professionnel. Vous êtes, sur le terrain, le représentant légal en charge des jeunes. Croire que vous partez voyager gratuitement sans avoir rien à faire est la pire erreur que vous puissiez commettre.

Mettre les mains dans le cambouis

S’il est un métier où vous ne pouvez pas vous cacher, c’est bien l’animation. Mentez durant l’entretien, assurez que vous avez déjà voyagé en groupe, que vous savez gérer des bivouacs et la nourriture pour vingt personnes. Attendez la première nuit pendant votre séjour d’être confronté à votre inexpérience latente, sous le regard moqueur des jeunes auprès desquels vous venez de perdre toute trace d’autorité et de confiance.

Avant de partir encadrer un séjour itinérant de trois semaines entre Estonie, Finlande et Russie, j’avais de l’expérience. Avant de partir deux fois en Islande, j’avais dirigé des séjours similaires. Je pense savoir relativement de quoi je parle et mon CV est désormais assez conséquent pour que je puisse me permettre le luxe de choisir mes destinations : parce que j’ai fait mes preuves et que je suis dans une logique constante d’auto-évaluation.

La morale

On ne s’improvise pas animateur.
On ne s’improvise pas directeur.

Les colonies de vacance, les séjours itinérants, les séjours linguistiques sont, avant et par-dessus tout, pour les jeunes. Vous ne partez pas en vacances tous frais payés. En acceptant d’encadrer un groupe, vous endossez des responsabilités terrifiantes qui supposent une connaissance et des compétences spécifiques à ce métier fabuleux qu’est celui du travail avec les enfants/adolescents.

Soyez donc prudents dans vos choix, avisés dans vos décisions et gardez toujours une petite pensée dans vos têtes : mieux vaut des regrets de n’avoir pas fait que des remords d’avoir fait.

Vous pourrez retrouver quelques anecdotes issues de mes séjours dans ces articles : Quand Colonie rime avec ennuis, Quand colonie rime encore avec ennuis, un coup de gueule sur un truc passé, un vomito en Sicile ou des histoires en Irlande !